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Alors, BaselWorld 2012…? – Partie 2 [Video]

May 2012


(suite) De l’importance de la créativité indépendante
Or, bon nombre de ces petites marques indépendantes ont démontré, à BaselWorld, l’importance de leur présence dans le paysage horloger global. Par leur créativité souvent débridée, elles servent d’aiguillon et de laboratoire à toute une profession. Contraintes de proposer des pistes techniques et esthétiques innovantes, elles ont fait étalage cette année d’une grande créativité, défrichant de nouveaux territoires, mixant horlogerie traditionnelle et technologies issues d’autres domaines. Ainsi Christophe Claret a-t-il présenté une pièce assez ébouriffante qui répond au doux nom de X-TREM-1. Ebouriffante, parce que pour la première fois en horlogerie l’indication des heures et des minutes n’est aucunement reliée au mouvement. Il n’existe en effet aucune connexion mécanique entre l’indication rétrograde qui se fait par deux petites sphères évidées qui se trouvent emprisonnées dans deux tubes de saphir posés de chaque côté de la carrure et le mouvement lui-même, régulé par un tourbillon volant incliné à 30º et monté sur une platine curvex. Ces deux petites sphères se meuvent par sustentation magnétique, emportées par deux micro-aimants tractés à l’intérieur du mouvement par des câbles de soie tressée. Le magnétisme étant un des pires ennemis des mouvements mécaniques, ces deux aimants ont été configurés de telle sorte qu’ils n’exercent leur magnétisme que dans une seule direction, leur champ n’interférant en rien avec le reste du mouvement. Gourmand en énergie, cet affichage magnétique est alimenté par un barillet dédié tandis qu’un deuxième barillet est réservé au tourbillon qui régule le rouage temps. Le rouage d’affichage, énergétiquement indépendant, est quant à lui régulé par une ancre entraînée par une came liée au rouage temps et qui libère toutes les 25 secondes une dent de la roue d’ancre du rouage d’affichage.
Une pièce d’exception, limitée à 8 exemplaires par exécution (boîtier or gris et titane, or rose et titane ou platine et titane) et dont le prix annoncé est de 264’000.- CHF!

X-TREM-1 by Christophe Claret
X-TREM-1 by Christophe Claret

Fluides et rouages
Autre pièce, tout aussi inédite, qui a marqué les esprits à BaselWorld, la montre à affichage hydraulique de HYT. On doit cette idée folle à Lucien Vouillamoz dont le profil est tout sauf horloger: ingénieur en physique nucléaire, il est aussi...théologien. Autour de lui s’est réunie une “dream team”, composée notamment d’un investisseur, Patrick Berdoz, de Bruno Moutarlier, ancien directeur industriel d’Audemars Piguet et du “wonder-boy” et agitateur d’idées horlogères Vincent Perriard (ex Concord, ex Technomarine). Il fallait bien des compétences diverses pour que ces “Hydro Mechanical Horologists” parviennent à créer la première montre au monde qui ose mélanger fluides et rouages. Comment cette machine d’un nouveau genre fonctionne-t-elle? Deux pompes en forme de soufflet, à la fois très souples et résistantes, sont disposées à 6h. Animé par un mouvement mécanique à remontage manuel qui entraîne une came montée en lieu et place de l’aiguille des heures, un piston vient actionner le soufflet, ou la pompe émettrice, poussant progressivement un liquide aqueux chargé de fluorescéine dans un tube capillaire qui fait le tour du cadran. L’heure se lit ainsi au fur et à mesure de la progression de ce liquide fluorescent qui, en avançant dans le tube, repousse dans l’autre soufflet récepteur un liquide transparent. Parvenu à 18h, le liquide fluorescent rétrograde en position initiale avant de recommencer sa course horaire. L’idée semble simple mais sa réalisation est d’une grande complexité (7 brevets ont été déposés). Ces difficultés tiennent aussi bien à la nature des composants très particuliers qu’il a fallu mettre au point (les soufflets en alliage électro-déposé, la composition moléculaire des deux liquides qui, bien que se touchant, ne se mélangent pas, le capillaire lui-même) qu’aux solutions “nanométriques” qu’il a fallu trouver pour parvenir à une étanchéité parfaite (une seule microgoutte en plus ou en moins et ce sont cinq minutes d’erreur à l’affichage).
Cette machine hydraulique et mécanique est offerte, dans sa version de base en titane, au prix de 43’800.-CHF.
Mais de telles innovations, magnétiques ou hydrauliques, ont-elles un véritable avenir? En d’autres termes, ouvrent-elles de véritables pistes inédites à l’horlogerie? Chez HYT on y croit fermement et tout un programme de développement est déjà en place jusqu’en 2015, avec de nouveaux produits spéciaux: une H2 en 2013, H3 en 2014 et H4 en 2015.

H1 by HYT
H1 by HYT

Affichages coperniciens
Cependant, force est de constater que ces innovations ne touchent essentiellement qu’aux technologies de l’affichage. Il en va de même avec la très poétique nouvelle Opus d’Harry Winston, 12ème du nom. On la doit à l’horloger d’origine française Emmanuel Bouchet qui, avec le constructeur Nicolas Dürrenberger et Christophe Lüthi, a créé en 2008 Centagora, une entreprise spécialisée dans le développement de mouvements. Leur idée est lumineuse: tout comme la terre tourne autour du soleil, pourquoi l’heure ne tournerait-elle pas autour du centre de la montre! C’est cette “révolution copernicienne” que le trio a mis au point grâce à l’accord passé avec Harry Winston qui en a fait son Opus 12. Disons-le d’emblée, l’effet, spectaculaire, est à la fois saisissant, gracieux et poétique. Imaginez donc une montre dépourvue d’aiguilles centrales mais comme hérissée sur tout son pourtour de douze paires d’aiguilles superposées, une étant plus longue – les minutes – que l’autre, – les heures. A chaque passage de cinq minutes, l’aiguille des minutes concernée tourne sur elle-même et vient afficher sa face colorée en bleu. Au passage de l’heure se déclenche un magnifique et aérien ballet: tour à tour toutes les petites aiguilles des heures tournent progressivement autour des aiguilles des minutes, montrant leur face bleue un bref instant avant de disparaître à nouveau, jusqu’à la “nouvelle” heure qui pivote également autour de la grande aiguille des minutes pour venir se placer au-dessus d’elle et montrer sa face bleue indiquant la nouvelle heure. Seul un film pourra rendre précisément compte de cette animation unique en son genre:

Alors, BaselWorld 2012…? – Partie 2

Afin de ne pas perdre pour autant le décompte exact des minutes qui s’écoulent entre deux aiguilles de cinq minutes, un petit compteur à aiguille gradué de 0 à 5 indique de façon rétrograde les minutes écoulées (avec d’ailleurs une précision supplémentaire à l’affichage traditionnel qui permet de lire visuellement les secondes s’écoulant de 15 sec en 15 sec entre les minutes). Enfin, une petite seconde flottante tourne au centre du cadran.
Ce complexe et néanmoins très lisible ballet copernicien (un ballet sonore également, car on entend distinctement le cliquetis des aiguilles qui tournent) est mené grâce à deux couronnes qui orbitent autour du cadran et dont les sections dentées engrènent les roues d’entraînement des aiguilles palier après palier. Motorisée par un mouvement mécanique à remontage manuel oscillant à 18’000 A/h, l’Opus 12 est dotée de deux barillets indépendants, un barillet dédié à l’animation et l’autre au mouvement, chacun étant doté de 45 heures de réserve de marche.
Esthétiquement, la montre est aussi une réussite avec ses surfaces microbillées et ses effets de semi transparence qui lui confèrent une profondeur mystérieuse. Sont prévues 120 pièces en zalium (plus 12 pièces serties baguette et 12 autres serties brillants) pour la somme de 243’000.- CHF. Plus que jamais, un beau jouet, pour millionnaires.

OPUS 12 by Harry Winston
OPUS 12 by Harry Winston

Explorations scientifiques
Avec TAG Heuer, qui accumule décidément les explorations, il ne s’agit ici plus tant de variations autour de l’affichage que d’une réflexion en profondeur sur le cœur même de la régulation horlogère. Que ce soit au travers des recherches menées avec une rigueur toute scientifique sur les hautes fréquences, sur les champs magnétiques (avec le régulateur Pendulum) ou le régulateur à microlames du Mikrogirder (à ce sujet, lire Europa Star n°312), on pensait qu’après avoir passé la barre du 1/100ème puis du 1/2000ème de seconde, TAG Heur se calmerait un instant. Mais, peine perdue, la tête chercheuse de TAG Heuer, Guy Semon, se faisait un plaisir à Bâle de montrer aux initiés sa nouvelle invention, le Mikrotourbillon. En fait, il s’agit de deux tourbillons régulant deux chaînes distinctes (la “chaîne duale” que l’on retrouve dans le Mikrograph, le Mikrotimer et le Mikrogirder). Le premier tourbillon est un 4Hz “standard” assigné aux heures et minutes, tandis que le second est un 50Hz qui bat donc à 360’000 A/h et qui régule la fonction chronographique de la montre, affichant le 1/100ème de seconde (pour 80 minutes de réserve de marche). A cette vitesse d’alternance, ce tourbillon accomplit un tour en 5 secondes! C’est par ailleurs le seul tourbillon que l’on puisse enclencher et arrêter à volonté.
S’il s’agit bel et bien là d’une performance – qui aboutit certes à un affichage inédit – elle se veut avant tout au service de la recherche chronométrique. Est-ce vraiment le cas? Ou, en d’autres termes, ce tourbillon ultra rapide directement affecté au calcul des temps courts apporte-t-il un surcroît de précision et une meilleure régulation? Les quelques maîtres-horlogers que nous avons interrogés à ce sujet n’en n’écartaient pas la possibilité théorique mais restaient circonspects. Quoiqu’il en soit – et Europa Star reviendra dessus – TAG Heur démontre avec ce Mikrotourbillon (à 220’000.- FS, une vingtaine de précommandes auraient été enregistrées à BaselWorld) son dynamisme exceptionnel ainsi que sa large avance concurrentielle dans le domaine de la recherche sur les hautes-fréquences, un sujet qui s’est imposé dans l’actualité mécanique de l’année écoulée.

Mikrotourbillon by TAG Heuer
Mikrotourbillon by TAG Heuer

Link Lady Diamond Star by TAG Heuer
Link Lady Diamond Star by TAG Heuer

Bread and butter
Mais, aussi intéressantes ces percées soient-elles, là n’est pas le bread and butter de TAG Heuer. Il faut plutôt aller le chercher du côté d’une chronographie beaucoup plus industrialisée. A commencer par le calibre 1887 qui avait fait couler tant d’encre car la marque avait annoncé en avoir acheté les plans à Seiko et ne les avoir transformés qu’après les révélations de la blogosphère. Sa production est montée en puissance cette année pour parvenir à 50’000 exemplaires (toujours à ce sujet, lire notre éditorial). En parallèle, TAG Heuer a mis en chantier sous le nom de code de 1888 un autre calibre chronographe, intégralement in house celui-ci, et qui sortira des chaînes de production dès la fin 2013. Ce nouveau calibre intégré présentera une autre architecture que le 1887 (dont les compteurs sont disposés en 6/0/12 alors que le “1888” est disposé en 3/6/9). Ce nouveau calibre chronographe permettra ainsi à TAG Heur de couvrir l’ensemble des esthétiques chronographiques horlogères.
L’autre chantier ouvert de TAG Heuer concerne la part féminine. Aujourd’hui elle se monte à 25% environ et l’objectif est de l’amener à 35% - 40%. L’arme de cette conquête se nomme Link Lady, une montre “easy-to-wear, sparkling, and feminine”, comme le souffle l’ambassadrice Cameron Diaz. Des montres quartz en forme de galets de 29,5mm ou 34,5mm, aux cadrans guillochés en formes de vagues concentriques, montées par attache centrale à de fluides bracelets Link redessinés pour l’occasion. Au sommet de la pyramide des Link Lady, la Diamond Star est une petite automatique dont la masse oscillante, plus grande que le mouvement et en forme d’étoiles endiamantées, tourne comme en suspension transparente entre deux verres saphir (29mm, or rose 18K, 192 diamants). Le buzz bâlois disait que Cameron Diaz viendrait en personne lancer cette offensive féminine. Le buzz disait vrai et la fête en son honneur fut évidemment une des plus courues de BaselWorld. (suite)

Source: Europa Star Première Vol.14, No 3