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Tag Heuer: Ondes et magnétisme au service de la régulation

August 2013


Tag Heuer: Ondes et magnétisme au service de la régulation

MIKROGIRDER

Nous sommes en 1747, dix ans avant que Thomas Mudge ne parvienne à adapter l’échappement à ancre aux montres portables. Cette année-la, Jean le Rond d’Alembert, célèbre mathématicien et encyclopédiste français, met au point son théorème des “cordes vibrantes”... De quoi s’agit-il au juste? C’est, dans l’histoire des mathématiques, la première équation d’onde. Elle décrit “la variation dans le temps et l’espace d’une quantité ondulant”, par exemple le long d’une corde qui se met alors à vibrer. Ou, pour prendre un autre exemple, bien connu, c’est avec cette équation que l’on peut mesurer les effets d’une onde propagée par une troupe marchant au pas sur un pont. Pont qui se mettra effectivement à vibrer rythmiquement, selon une onde qui peut déclencher sa destruction. Mais en quoi cette équation a-t-elle quelque chose à voir avec l’horlogerie mécanique?

Guy Semon
Guy Semon

Restée longtemps sans application pratique, l’équation de d’Alembert a par la suite trouvé des prolongations importantes dans le génie civil. Elle a notamment permis la mise au point de jauges dites “extensométriques à corde vibrante”, permettant de mesurer les déformations du béton dues aux variations de contrainte dans les grands bâtiments, les tours, les barrages, les centrales nucléaires. On la retrouve aussi dans le calcul des mouvements qui peuvent agiter les câbles d’un pont, les caténaires d’un train ou tout simplement les cordes d’une guitare. Son application à l’horlogerie ne date que de 2012. Elle provient de l’intuition rationnelle de Guy Semon, responsable de la Recherche et Développement de TAG Heuer.

Petit retour en arrière

Mais pour en arriver là, faisons un petit retour en arrière. En fait, tout a commencé en 2003, lorsque TAG Heuer a acheté à Jean- François Ruchonnet l’idée de la “conceptwatch” V4. Mais le développement et la mise au point de cette montre d’un nouveau type, utilisant des courroies de transmission en lieu et place des traditionnels trains de rouage, nécessitaient un savoir-faire et des compétences techniques spécifiques, outrepassant le seul domaine horloger. Bien décidé à parvenir coûte que coûte à mettre au point et à commercialiser ce produit annoncé trop tôt, TAG Heuer fit appel à des consultants provenant d’autres domaines, tels que l’automobile, l’aéronautique, les technologies d’avant-garde. C’est dans ce cadre que Guy Semon, physicien, mathématicien, ingénieur, professeur d’université ayant auparavant travaillé auprès de la Défense Nationale française, a rencontré les équipes de TAG Heuer. Nous étions alors en 2004. En 2007, TAG Heuer demande à Guy Semon de rejoindre l’entreprise pour y monter un département de Recherche et Développement digne de ce nom. Jean-Christophe Babin, alors CEO de TAG Heuer, poursuit une vision très innovante de ce que devrait être la recherche pour sa marque qui, plutôt que dans l’horlogerie classique, a trouvé depuis ses origines ses lettres de noblesse dans une horlogerie technique, entièrement tournée vers la précision et la performance chronographique.

Limites intrinsèques du balancier-spiral

Guy Semon se met à l’ouvrage, avec des outils – théoriques, mathématiques, physiques – inhabituels pour des horlogers traditionnels. Il constate rapidement que le couple traditionnel balancier-spiral, inventé en 1675 par Christiaan Huygens, puis perfectionné par Thomas Mudge un siècle plus tard, comporte de sérieuses limites dès lors que l’on cherche à monter en fréquence afin de pouvoir calculer des temps très courts. En effet, en 2011, à BaselWorld, TAG Heuer présente son Mikrotimer Flying 1000 oscillant à 500 Hz, soit le chiffre faramineux de 3,6 millions d’alternance/heure. A cette fréquence, la montre parvient à calculer et à afficher 1/1000ème de seconde!

Pour parvenir à ce résultat spectaculaire, TAG Heuer a poursuivi dans la voie de la chaîne duale, initiée la même année avec le Heuer Carrera Mikrograph, affichant le 100ème de seconde grâce à deux assortiments distincts, oscillant respectivement à 28 800 alt/heure, pour les indications heures, minutes, secondes, et à 360 000 alt/heure, soit 50 Hz, pour l’affichage chronographique du 1/100ème de seconde.

Mais, à la fréquence désormais atteinte de 500 Hz, à laquelle l’aiguille des secondes fait 10 tours complets par seconde, on commence à sortir de l’horlogerie huygensiennne: l’échappement n’a plus besoin de balancier car, à cette allure si élevée, le ressort-spiral doit être tellement raide (en l’occurrence 4 spires seulement, soit environ 10 fois plus raide qu’un ressort normal) que le balancier n’est plus nécessaire pour le retour. Mais avec ce mouvement sans balancier, on touche à des limites physiques: l’ancre commence à avoir de la peine à suivre la cadence, le régulateur s’asphyxie, la transmission barillet/ roue d’échappement se dérythme, la quantité d’énergie requise par impulsion n’est plus suffisante. Un déséquilibre dynamique et énergétique intervient. Pour Guy Semon, ce constat marque le point de départ de la recherche d’une nouvelle technologie de régulation.

D’Alembert rentre en scène.

Théoriquement, la “poutre vibrante parfaite” mise en équation par d’Alembert, à la souplesse infinie, à la tension constante, à l’élasticité parfaite et insensible à la gravitation, est parcourue d’une onde qui se transmet uniformément sur toute la longueur. Une onde aux oscillations isochrones.

The MIKROGIRDER 5/10000th microblade regulator
The MIKROGIRDER 5/10000th microblade regulator

Pratiquement, encore fallait-il réussir à s’approcher au plus près de cette onde parfaite mise en équation. Le principe retenu apparaît simple et combine trois “poutres vibrantes”: un excitateur solidaire de l’ancre et un oscillateur constitué d’une mince “poutre” sont unis par un “coupleur” qui est lui aussi une “poutre”. En excitant l’oscillateur de façon à se rapprocher le plus possible de “l’onde parfaite” de la théorie, celui-ci se met à vibrer suivant des fréquences parfaitement définies. Le réglage s’opère par excentrique qui permet d’allonger ou de raccourcir la poutre vibratoire, un peu comme on accorde une guitare. Cet oscillateur d’un nouveau type, “non-huygensien”, est donc linéaire – comme une corde! Mais, comme dans tout mouvement classique, la puissance mécanique est transmise de façon non constante au pignon d’échappement. Pour parvenir à compenser dans la plus large mesure possible l’inconstance de la transmission de l’énergie, l’angle d’échappement doit être le plus faible possible. La roue d’ancre comporte donc le double de dents, 40 au lieu de 20. Dès lors, la fonction classique de “repos” agit comme un limiteur de vitesse et empêche tout emballement. La géométrie du point de contact ancre / roue d’ancre a été également revue de façon à compléter cette compensation.

Au niveau de l’inertie de la transmission, un “système de découplage de la liaison pignon d’échappement/roue” a été conçu, sous la forme d’un ressort qui s’arme lorsque la transmission est en charge et qui, au moment de la chute, restitue l’énergie emmagasinée pour que “l’accélération de la roue d’ancre atteigne son maximum indépendamment de la transmission”. L’énergie cinétique se propage dans l’excitateur, se transforme en énergie potentielle transmise à la “poutre vibrante du coupleur”. Celle-ci transmet une “énergie d’excitation” qui parvient à l’extremité de la “poutre oscillateur”, engendrant un déplacement suivant le mode vibratoire qui est celui de la fréquence recherchée.

Peu d’inertie et pratiquement pas d’amplitude (on vibre très vite mais les oscillations sont très basses): le système consomme une énergie moindre que celle d’un régulateur à spiral et balancier. D’où, également, un intérêt certain dans les hautes fréquences car la réserve de marche pourra dès lors être bien supérieure.

Un régulateur particulièrement adapté aux temps très courts

Ainsi régulée, la montre-concept TAG Heuer Mikrogirder “vibre” donc à la fréquence ahurissante de 7 200 000 alternances/heure, soit du 1 000 Hz, de quoi mesurer le 1/2000e de seconde (TAG Heuer préfère dire le 5/10 000e).et grâce au système d’échappement dual, la chaîne huygensienne “normale” des indications horaires et la chaîne “vibratoire” du chronographe au 1/2000e n’interfèrent aucunement.

Et la lecture? L’affichage des fractions temporelles du 1/100e, 1/1000e et 1/2000e de seconde se fait grâce à une aiguille centrale qui tourne au rythme de vingt révolutions par seconde sur une échelle circulaire autour du cadran. Une seconde échelle, à 12h, est divisée en fractions de 3 secondes tandis qu’une troisième échelle, à 3h, indique les dixièmes.

The TAG HEUER MIKROGIRDER
The TAG HEUER MIKROGIRDER

Mais si le système s’adapte théoriquement à toutes les fréquences, en-dessous de 50 Hz, il a tendance à bloquer. Ce régulateur d’un nouveau type semble donc parfaitement adapté aux temps très courts, il l’est d’évidence moins pour la simple indication heure, minutes, secondes. A priori, il ne faut donc pas y voir un candidat qui viendrait définitivement supplanter la suprématie du bon vieil échappement à ancre “suisse”.

PENDULUM

L’année précédente, en 2010, TAG Heuer et les équipes de Guy Semon avaient présenté un tout autre concept de régulation troquant le traditionnel spiral pour son équivalent magnétique: la Concept Watch Pendulum.

Ici, roue d’échappement et ancre restent en place. Mais c’est le coeur du système, le balancier-spiral, qui est remplacé par un stator et un rotor magnétiques.

Tag Heuer: Ondes et magnétisme au service de la régulation

Plus radicalement encore que dans la “Girder”, on s’éloigne ici de l’horlogerie traditionnelle pour s’enfoncer plus profond dans les mystères de la physique, allant presque jusqu’à tutoyer la physique quantique.

Stator et Rotor entrent en scène

Le dispositif remplaçant le spiral est constitué de quatre aimants. Deux de ces aimants, un positif et un négatif, magnétisés dans une seule direction, sont disposés face à face sur le pourtour, maintenus par un support fixe en fer doux formant comme une cage de Farraday. Au centre, dans l’axe de la roue de balancier maintenue par un pont traditionnel, deux aimants disposés sur un mobile rotatif, alternent les pôles positif et négatif, créant ainsi un champ magnétique de part et d’autre du dispositif. Pour que cet ensemble fonctionne, il a fallu donner une forme spéciale à ces aimants de façon à “linéariser” leur force (car un des problèmes des aimants est que leur force décroît très rapidement, de façon inversement proportionnelle à la distance au carré) et les disposer savamment, pour les contrôler dans les trois dimensions afin qu’ils fournissent le couple de rappel linéaire adéquat aux oscillations alternées du balancier.

Tag Heuer: Ondes et magnétisme au service de la régulation

Sur le papier, les avantages de ce système sautent aux yeux: l’insensibilité des champs magnétiques à la gravité et aux chocs écarte ainsi deux des faiblesses congénitales du spiral traditionnel. Ajoutons-y une simplicité de montage qui facilite grandement le travail de l’horloger. Mais subsistait toutefois un sérieux problème: les aimants sont très sensibles à la température. Comment dès lors concevoir un type d’aimant qui soit le plus insensible possible à ces écarts très dommageables en termes de précision de marche? D’une certaine façon, les responsables de TAG Heuer se trouvaient alors face au même problème que celui rencontré par le spiral avant l’invention de l’Elinvar par Guillaume, dans les années 20. Mais si ce défi majeur, ainsi que d’autres touchant à la densité énergétique des aimants, à leur fabrication, à leur mesure physique, à la linéarité du couple magnétique en fonction de l’amplitude, parvenaient à être surmontés, le Pendulum théorique, avec ses 6 Hz, ses 43’200 alternances/heure, son absence de perte d’amplitude et la modulation possible de sa fréquence sans surcharger pour autant son alimentation énergétique procurerait de réels avantages en termes de précision et de performance.

Aux abords du quantique

Trois ans après, ces problèmes semblent avoir été résolus, à coup de théorie du magnétisme, de géométrie spatiale et d’algorithmes génétiques...

Difficile ici de rentrer dans le détail de cette recherche de très haut niveau, tant sont pointus les concepts qui sont à l’oeuvre. Au bout du compte, et après moult équations, les aimants utilisés sont constitués d’un alliage ferromagnétique complexe, impliquant Cobalt, Samarium et Gadolinium. La particularité de ce dernier élément, classifié dans les “terres rares”, est d’agir comme “une variable d’ajustement du champ magnétique.” En d’autres termes, en dosant correctement le Gadolinium, on parvient à régulariser les variations du champ magnétique en fonction de la température, l’alliage agissant dès lors comme un “bouclier” absorbant les écarts thermiques.

The TAG HEUER CARRERA MIKROPENDULUM
The TAG HEUER CARRERA MIKROPENDULUM
The TAG Heuer Carrera MikroPendulum is a 371-component dual chain platform with a balance-wheel system for the watch (28,800 beats per hour (4Hz) with a 42 hour power reserve), and a hairspring-less pendulum system for the chronograph (360,000 beats per hour (50Hz) with a 90 minute power reserve). The crown rewinds the chronograph: the watch is run on a classic COSC-certified automatic movement powered by an oscillating weight. The 45mm case is in sandblasted, fine-brushed and polished titanium. The pendulum is on proud display at 9 o’clock. The chronograph minutes counter is at 3 o’clock, the chronograph seconds at 6 and the chronograph power reserve indicator at 12 o’clock. The 100ths of a second are displayed by a sweeping red central hand and measured out on a 1/100th of a second scale on the anthracite flange. A high-tech strap in soft, hand-sewn anthracite alligator with black titanium folding clasp finishes the sporty look.
Tag Heuer: Ondes et magnétisme au service de la régulation

Autre obstacle vaincu, “la linéarité du couple en fonction de l’amplitude”. Si le champ magnétique des aimants est et reste constant, le couple généré par le rotor ne dépend que de l’amplitude. Mais les lignes de champ magnétiques créées ne restent pas seulement contenues dans le plan du “pendulum”, elles atteignent le proche espace. Or, ces “pertes de fer” agissent comme des “frictions” magnétiques. A force de modélisation, il faut donc “adapter la géométrie des aimants statiques” de façon à ce que les lignes de champ magnétique soient parfaitement orientées et “guidées dans le plan des aimants”. C’est seulement ainsi qu’on parvient, à amplitude donnée, à obtenir la constance du couple mécanique sur l’axe de balancier. C’est dans la recherche de cette géométrie qu’interviennent les complexes algorithmes génétiques jusqu’à parvenir, par optimisations topologiques successives, à la linéarisation du retour de couple.

The TAG HEUER CARRERA MIKROPENDULUMS
The TAG HEUER CARRERA MIKROPENDULUMS
The TAG Heuer Carrera MikroPendulumS, with two magnetic Pendulums replacing the hairsprings, one for telling time and one for timekeeping. Composed of 454 working components, its watch chain turns at 12Hz and its chronograph chain turns at 50Hz (60 minutes power reserve). The chronograph tourbillon, the world’s fastest, controls the 1/100th of a second, beats 360,000 times an hour and rotates 12 times a minute. The case is forged from a fully biocompatible chrome and cobalt alloy, which is harder than the titanium alloy used in aviation and surgery. The case design, with its stopwatch-like placement of the crown at 12 o’clock, is based on the 2012 Aiguille d’Or winner, the TAG Heuer Carrera Mikrogirder, and the Carrera 50 Year Anniversary Jack Heuer edition. The two tourbillon Pendulums and their solid rose gold bridges (18-carat 5N) are visible through the fine-brushed anthracite dial. The hand applied “100” at 12 o’clock is also in solid rose gold. The chronograph minutes counter is at 12 o’clock, chronograph seconds at 3 and the chronograph power reserve at 9. The 1/100th of a second scale appears on the silver flange. The strap is hand-sewn anthracite grey alligator, very high-tech in style and soft to the touch.

Au final, le système Pendulum atteint des niveaux de performance comparable à celles d’un spiral, sans toutefois parvenir aux exigences du COSC, qui, exprime la sensibilité à la température par l’erreur journalière mesurée par degré d’écart. Soit 0.6 seconde/jour/ºC pour le COSC, contre 1 seconde/jour/ºC pour le Pendulum présenté cette année à BaselWorld. Une belle performance, mécanique, mathématique et physique.

Source: Europa Star August - September 2013 Magazine Issue