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RETAILER CORNER - La collectionneuse venue de Russie

August 2013


Ekaterina Sotnikova a ouvert à Paris une galerie marchande proposant des montres d’horlogers indépendants. Originalité et prestige.

« Il y a plein de préjugés sur les femmes de l’Est. » Si l’un d’eux est la beauté slave, alors Ekaterina Sotnikova, qui semble les avoir affrontés, ne les fait pas tous tomber. Cette jeune femme aux grands yeux vert-amande et aux cheveux châtains vient d’ouvrir à Paris, à deux pas des Champs-Elysées, une galerie de montres de haut vol, Ekso Watches Gallery. C’est une sorte de salon feutré aux tonalités marron-champagne, dans lequel sont disposés huit présentoirs vitrés renfermant des créations d’horlogers indépendants, de nationalités diverses, installés en Suisse ou dans leur pays, parmi lesquels Speake-Marin, Vianney Halter, Ludovic Ballouard, Kari Voutilainen, Bovet, Stefan Kudoke ou encore Grönefeld.

EKSO WATCHES GALLERY
EKSO WATCHES GALLERY

Des noms et des marques qui ne disent rien au consommateur de masse mais beaucoup aux happy-few. Située dans les étages d’un immeuble de bureaux, on accède à la galerie sur rendez-vous, par un ascenseur fonctionnant à clé. Face aux merveilles exposées, on se sent à la fois petit et important. Car tout est à vendre, non pas les lieux mais la marchandise. Portefeuille épais exigé.

Ekaterina Sotnikova est une maîtresse-femme. De la poigne à en revendre sous son apparente fragilité. Et une passion de dix-huit ans pour les montres, dit-elle, les belles montres, cela va de soi. C’est une drôle de trajectoire que la sienne. Elle est née en Lettonie au temps de l’URSS, a grandi à Saint-Pétersbourg. Adolescente, elle est une gymnaste de haut niveau. Une blessure, à 16 ans, met un terme à sa carrière sportive. Qu’à cela ne tienne, elle deviendra docteur en économie. « A l’époque, c’était ce qui était prestigieux », dit-elle avec naturel. « Quand j’ai fini mes études, il a fallu trouver un travail en Russie. » Cette perspective ne l’emballait guère. Et puis, côté « vie privée, ce n’était pas le top non plus ». Elle décide alors de s’expatrier. Mais vers où ?

Vers Paris, bien sûr. « J’avais déjà un amour pour Paris. » Des connaissances en Russie, introduites dans la famille politique du président Poutine, la mettent en contact avec l’UMP – doit-on dire le « parti frère » français ? Elle décroche donc un « job » à l’UMP en tant que « chargée des relations avec les élus de l’Est ».

« Les trois premières années à Paris n’ont pas été faciles pour moi. Mais j’ai décidé de m’accrocher. Rentrer en Russie, ça voulait dire que je n’avais pas réussi en France. » Elle s’accroche donc, rencontre à l’UMP celui qui deviendra son mari – elle tait son nom –, un avocat dont le cabinet héberge aujourd’hui la galerie Ekso Watches. « Mon mari voyait que j’aimais les montres. Mais que faire ? Ouvrir une boutique, non. Je me suis tournée vers les horlogers indépendants. J’étais passionnée mais n’y connaissais rien en technique. J’ai suivi une formation à la Fondation de la Haute Horlogerie de Genève. La montre que j’ai montée n’a pas marché », dit-elle en souriant, dans un français parfait ourlé d’un délicieux accent russe.

Son premier « Bâle » remonte à trois ans, pour voir et pour acheter, au « feeling ». « J’ai fait beaucoup moins d’erreurs dans mes choix la seconde année », confie-t-elle. Son mari, qu’elle a « contaminé » de sa fougue pour les montres, l’accompagne cette fois-là. Elle est aujourd’hui à la tête d’une collection d’une trentaine de montres et en relation avec un groupe restreint de fabricants, des « artistes » qu’elle couve, chérit et bouscule si besoin est.

« Certains ne savent pas se vendre », constate-t-elle avec bienveillance. Elle connaît tout d’eux, leur rend visite fréquemment, apporte sa touche personnelle à l’élaboration de modèles et – pas économiste pour rien – a conclu avec eux un accord qui la désigne comme vendeur exclusif.

Du modèle « Serpent Calendrier » façonné par l’Anglais Peter Speake-Marin qu’elle tient dans ses mains gantées, elle dit, heureuse comme une grande enfant : « Aiguille sinueuse qui donne la date ; boîtier or blanc très épais, usiné à la main ; cadran en émail. » Elle s’extasie devant l’« Antiqua » du Français Vianney Halter, créée en 1998, une bizarrerie munie de quatre cadrans en forme de hublots marins, « 2000 heures de travail ». « A l’époque, note-t-elle, ça avait fait l’événement à Bâle. »

Quelques-uns des modèles en vente à la galerie valent des centaines de milliers d’euros. Un lourd investissement – privé – pour Ekaterina Sotnikova qui compte bien rentabiliser son affaire. Elle se donne cinq ans pour réussir.

Source: Europa Star August - September 2013 Magazine Issue