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Tissot - Smartwatches: la riposte suisse

November 2014


La marque Tissot entend lancer une montre connectée très différente des produits d’Apple ou de Samsung. Entretien avec son directeur François Thiébaud.

Lorsque le géant californien Apple a annoncé le lancement de sa montre connectée pour 2015, les regards se sont immédiatement braqués sur deux marques suisses, qui semblaient dans la ligne de mire du géant californien: Swatch d’une part, Tissot d’autre part. Toutes deux ont annoncé qu’elles allaient lancer leurs propres produits connectés.

Mais la «connexion» est un vaste mot, qui recouvre des possibilités innombrables. S’il ne veut pas dévoiler trop avant la configuration de sa future montre connectée, François Thiébaud, le directeur de Tissot, a accepté de révéler les contours du projet à Europa Star. Il livre ainsi sa vision de la montre connectée «à la suisse». Entretien.

Tissot, comme Swatch d’ailleurs, va présenter une montre connectée dans les mois à venir, avant Baselworld.

Vous avez annoncé que vous alliez lancer une smartwatch d’ici la fin de l’année. Où en est ce projet?

François Thiébaud: Tissot, comme Swatch d’ailleurs, va présenter une montre connectée dans les mois à venir, avant Baselworld. Je tiens du reste à rappeler que le Swatch Group a été précurseur de la montre connectée, avec les modèles Paparazzi ou Access par exemple.

En quoi vos montres connectées se distingueront-elles de celles d’Apple ou de Samsung?

FT: D’abord, nous sommes une marque suisse! Nous ne pouvons donc pas prendre le risque de perdre le «Swiss made» en lançant un produit connecté. Or, nombre de composants viennent de l’étranger. Par ailleurs, dans la mesure du possible, nous voulons préserver notre autonomie vis-à-vis de prestataires extérieurs.

Je suis attiré par les nouvelles technologies: à mon arrivée chez Tissot, j’ai lancé le grand chantier de la T-Touch aussi en raison de ma sensibilité personnelle aux fonctionnalités comme la boussole et l’accéléromètre, en tant que pilote amateur. Mais la technologie ne fait pas tout. Notre métier est d’habiller le temps, qui lui ne va pas changer. Une montre, c’est un vecteur d’émotion, pas un produit purement technologique. Sinon, on déguste un plat sans saveur.

François Thiébaud, Director of Tissot
François Thiébaud, Director of Tissot

Justement, que pensez-vous de l’Apple Watch? Vous sentez-vous directement menacé?

FT: Ce n’est en aucun cas comparable à la révolution du quartz, comme certaines personnes – qui croient que le monde change drastiquement tous les cinq ans –aiment à le penser. A mon avis, ce sont d’abord des marques asiatiques qui vont être affectées, pas l’horlogerie suisse. Récemment, lors d’une conférence, j’ai demandé aux spectateurs qui portaient une smartwatch de lever la main. Une seule s’est levée, celle du représentant d’un fabricant de montres connectées! Personnellement, je n’ai pas envie de recevoir une notification toutes les 30 secondes. En ce moment où je vous parle, je ne suis pas en train de consulter mon smartphone…

Pour vous, quels sont les handicaps des montres connectées actuelles?

FT: D’abord, elles doivent être obligatoirement connectées à un smartphone, par exemple un modèle onéreux d’Apple. Si l’on additionne le coût de la montre à celui du téléphone, on ne peut plus vraiment parler de concurrence dans l’entrée de gamme! Autre handicap: il faut charger ces montres très régulièrement. Si je dois avoir un chargeur pour l’iPhone, un pour l’iPad et un pour l’Apple Watch, bientôt il y aura plus de chargeurs que de vêtements dans ma valise…

Par ailleurs, les montres connectées actuelles sont fragiles: leur forme carrée ou rectangulaire ne garantira jamais une étanchéité comparable à celle d’une montre ronde. Enfin, la distribution représentera un problème pour ces marques. Sans doute par pour Apple, certes, mais pour les autres: les détaillants vont-ils réellement déplacer des Tissot de leur vitrine pour leur laisser de la place? Ces produits ont un côté très éphémère, ils se ringardisent rapidement. Ils seront plutôt distribués dans les grandes surfaces de l’électronique.

Si ce marché vous paraît si peu porteur, pourquoi vous lancer vous aussi?

FT: La concurrence nous encourage, elle nous stimule! Evidemment, on ne peut pas aller contre les technologies. Mais nous autres, horlogers, allons proposer quelque chose de différent que les produits de ces géants de l’électronique. On pourrait par exemple imaginer un bracelet connecté à une montre mécanique, qui donne accès à certains points de passage sécurisés.

Par ailleurs, il y a peut-être même un avantage pour nous: des jeunes qui ne portaient pas de montres vont être initiés à l’horlogerie via la montre connectée. Il y a potentiellement une complémentarité entre nos produits. Après tout, le téléphone portable n’a pas fait disparaître la montre traditionnelle. Initiés, ces «novices» passeront ensuite à des produits plus qualitatifs. Vous savez, la première fois que l’on goûte du cognac, on n’en apprécie pas forcément le goût. Il y a un apprentissage du luxe, qui prend du temps. Sinon, comme le disait Nicolas Hayek Sr., autant couper son cigare avec les dents…

La Suisse est notre marché-test: ce qui fonctionne ici se vend également bien ailleurs, en règle générale.

Comment la clientèle a-t-elle accueilli votre dernière innovation, la montre tactile à énergie solaire T-Touch Expert Solar?

FT: Il est encore un peu tôt pour le dire, car les premières montres ont été livrées en août. Nous commençons toujours par le marché suisse, avant d’approvisionner le reste du monde. La Suisse est notre marché-test: ce qui fonctionne ici se vend également bien ailleurs, en règle générale. On y trouve à la fois une clientèle locale de connaisseurs et des visiteurs étrangers. C’est donc un bon laboratoire, dont les vendeurs sont en outre bien formés. De plus, si la montre a une «maladie de jeunesse», nous pouvons y remédier rapidement. Je crois néanmoins que combiner le côté ludique de l’écran tactile avec la technologie solaire, très tendance, va porter ses fruits.

T-Touch Lady Solar by Tissot
T-Touch Lady Solar by Tissot

En 2013, vous avez produit plus de quatre millions de montres, soit 8,1% de plus que l’an précédent. A quel exercice 2014 vous attendez-vous?

FT: L’exercice 2014 restera positif. Nous n’enregistrons certes pas la même croissance qu’en 2013, mais nous connaissons une hausse en termes de valeur par rapport à l’an passé. Nous espérons atteindre les 4,3 millions de modèles écoulés en 2014. C’est aussi la preuve que les smartwatches ne nous affectent pas!

Sur quels relais de croissance comptez-vous pour compenser la «normalisation» du marché chinois?

FT: Nous pensons «monde», pas juste Asie. Nous avons récemment ouvert des boutiques sur la 5ème avenue et Wall Street à New York, Oxford Street à Londres, la Bahnofstrasse de Zurich, pour en nommer quelques-unes. Ce sont des lieux prestigieux et stratégiques: par exemple, les Brésiliens achètent beaucoup de montres à l’étranger, en raison des taxes importantes dans leur pays.

Comment organisez-vous votre distribution entre boutiques en nom propre et détaillants?

FT: Nous comptons près de 14’000 points de vente dans le monde, dont 220 boutiques et quelque 2’000 «shop in shop», des comptoirs dans des grandes surfaces. Nous sommes en train de réduire un peu le nombre de points de vente de détail, mais nous ne sommes pas obnubilés par nos propres boutiques. Celles-ci ne doivent pas concurrencer nos partenaires détaillants. Les «flagship stores» sont d’abord là dans le but de faire passer le message de la marque.

Quelle part représente la clientèle féminine dans vos ventes?

FT: Tissot reste encore trop masculine à mes yeux, en particulier en raison de son orientation sportive. Le ratio est de 60% de montres hommes et 40% de montres femmes. Mais je souhaiterais ramener ces proportions à 55%-45%.

TISSOT EN CHIFFRES


4

En millions, le nombre de montre écoulées par Tissot en 2013. La marque espère atteindre 4,3 millions de ventes en 2014.

14,000

Le nombre de points de vente dans le monde

2,000

Le nombre de points de vente dans des grandes surfaces («shop in shop»)

220

Le nombre de boutiques en nom propre

60%

La proportion de montres hommes

Source: Europa Star December - January 2015 Magazine Issue