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Edito - Tous les possibles

October 2013


L’impression est tenace, confirmée par toute une série d’indices de tous ordres. Mais quelle impression, au juste ? L’impression que tous les champs du possible sont ouverts. Et que personne ne sait au juste de quoi sera fait l’avenir. On parle ici, bien entendu, de l’avenir de l’horlogerie. Mais en parlant d’horlogerie, on parle évidemment du monde aussi, car l’horlogerie n’est ni hors-sol ni détachée des basses contingences matérielles, économiques voire politiques (on pense aux campagnes anti-corruption lancées en Chine).

Edito - Tous les possibles

Tout est possible car tout semble pouvoir virer de bord d’un instant à l’autre. Comme par exemple avec ces désormais fameuses smart watches qui pourraient, selon certains, ne pourraient en aucun cas, selon d’autres, devenir hégémoniques à nos poignets, balayant la vieille technologie mécanique comme le quartz l’avait fait en son temps. Avant que celle-ci ne se reprenne, se venge et triomphe largement en valeur.

Si à l’époque, les Suisses ont failli être rayés de la carte horlogère, ce fut en grande partie du à leur propre aveuglement. Les situations de domination absolue sont propices à l’arrogance, et l’arrogance n’est guère propice à la lucidité. Attention donc à ce que ce mélange explosif d’arrogance et de manque de lucidité ne se répète.

Mais si cette impression d’ouverture à tous les possibles perdure, c’est aussi pour d’autres raisons. L’horlogerie mécanique n’a certainement pas encore dit son dernier mot mais, à visiter les manufactures et à côtoyer les établis, on ressent comme une hésitation quant aux pistes à explorer en priorité. Faut-il en revenir, toutes affaires cessantes, à un renouveau du classicisme, calmer le jeu, parier sur une plus grande sobriété ? Ou, au contraire, faut-il à tout prix innover, même surenchérir avec des propositions rendues possibles par les outillages de conception et de production modernes mais dont le sens profond nous échappe?

D’autant plus que les horlogers chinois semblent avancer à grands pas dans cette horlogerie compliquée, proposant par exemple des tourbillons en jade qui se vendent à 380’000 US$! (lire à ce sujet l’excellent reportage de Paul O’Neil de retour de Hong Kong dans Europa Star 5/2013). Autre interrogation, renforcée encore par un récent séjour au Japon (décidément, c’est de l’Orient “compliqué” que viennent les questions): la jeune génération ne semble plus avoir besoin du “fétiche” social incarné par la montre, devenue un peu un accessoire à la papa. Les marqueurs de l’appartenance sociale bougent, les signes identitaires se transforment, le “luxe” - c’est à dire l’investissement émotionnel et économique dans le superflu - change de visage.

La notion d’instrument, réunissant de multiples fonctions, semble prendre le pas sur celle de la seule “représentation” qui ne disparaît pas pour autant mais prend d’autres visages. Et quand la fonction s’accorde avec la représentation, le succès est assuré. Le «danger» à cet égard ne vient pas seulement de la future avalanche de montres connectées, dont rien ne dit encore qu’elles deviendront hégémoniques mais qui pourraient très bien réussir à mixer technologie, design et matières précieuses pour toucher jusqu’au haut de gamme. D’autres «possibles» s’annoncent aussi. A cet égard, il sera très intéressant d’observer comment la technologie atomique, lancée par Hoptroff cet automne, se développera. Car si la montre annoncée – à des prix encore atomiques –renferme une “pile” supra-précise d’un nouveau type, elle présente un visage plein d’aiguilles, certes, mais d’un classicisme absolu. Une future équation gagnante?

Source: Europa Star October-November 2013 Magazine Issue