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Tianjin Sea-Gull Watch

August 2010



«En volume, nous sommes le plus grand producteur de mouvements automatiques»

BaselWorld 2008, halle 5, deux hommes énervés déboulent sur le stand Sea-Gull et jettent à la figure des responsables: «Dans votre double tourbillon, vous violez nos brevets!». Portée devant la Commission de la propriété intellectuelle, l’affaire se démonte en quelques minutes, «Ce calibre est absolument original», conclut impartial un expert indépendant.
Débouté, les accusateurs s’en sont pris au contre-exemple de la «copy watch» chinoise. Fondée en 1955, Sea-Gull est née de l’idée qu’après avoir passé des siècles à réparer des mouvements, les horlogers chinois pouvaient bien les fabriquer... Sea-Gull lança la première montre chinoise, la première montre chinoise pour dame, le premier chronographe chinois et la première montre chinoise à l’exportation. Bref, Sea-Gull est chinoise jusqu’au bout des aiguilles!

Tianjin Sea-Gull Watch Mr. Jian Wang, General Manager of Tianjin Sea-Gull Watch holding a double tourbillon watch in his hands. (Photo J.-L. Adam)

Europastar: Il paraît que Sea-Gull produit un quart des mouvements automatiques dans le monde, c’est vrai?
Jian Wang: Selon les statistiques 2007, sur les 20 millions produits dans le monde, 5 millions proviennent de notre usine. En termes de volume, nous sommes donc le premier producteur mondial de mouvements automatiques. Nous fournissons de nombreuses marques et seule une petite partie équipe nos garde-temps Sea-Gull.

ES:Ils animent davantage des montres allemandes que chinoises…
JW:Exact, les montres chinoises automatiques sont généralement équipées du calibre Citizen Miyota 8025. C’est à la fois une stratégie markéting et une culture de consommation en Chine, portée vers les produits importés.

ES:Excepté les tourbillons.
JW:Car le Japon n’en produit pas! La Chine compte six manufactures de tourbillons – Shanghai, Beijing, Hangzhou, Dandong (Liaoning Watch Factory), Guangzhou et Tianjin (Sea-Gull) – mais, en termes de qualité, de diversité, de technologie et de production, Sea-Gull est premier. Nous sommes les seuls à produire certains types de tourbillons. A notre connaissance, Sea-Gull est l’une des trois marques au monde à offrir une gamme de tourbillon pour dame.

ES:Votre tourbillon s’apparente à celui de Breguet. En quoi s’en différencie-t-il?
JW:Dans la finesse et la mise au point, le calibre Breguet est indéniablement plus raffiné. Sur le principe de fonctionnement, les deux sont identiques. En finition, notre tourbillon adopte le style traditionnel chinois avec des arcs plus ronds, plus doux.

ES:En 2009, vous avez vendu 300 000 montres, quel sont vos futurs objectifs commerciaux?
JW:Ecouler annuellement 1 million de montres d’ici à cinq ans. Pour y parvenir, nous voulons que les Chinois soient fiers de porter des montres chinoises et qu’ils comprennent que Sea-Gull est un authentique manufacturier, produisant ses montres «in-house» depuis toujours.

ES:Avec la seule marque Sea-Gull ou comptez-vous en créer d’autres?
JW:Créer des marques pour différentes catégories de consommateurs fait partie de notre stratégie afin de mieux exploiter notre formidable production de mouvements mécaniques et, ainsi, offrir aux Chinois leurs propres montres de qualité.

ES:C’est honorable, mais les Chinois sont friands de marques importées et n’ont guère d’estime pour leurs labels nationaux! Pourquoi changeraient-ils soudain d’avis?
JW:Avec l’essor de l’économie chinoise, nous constatons un progressif regain d’intérêt pour les produits de prestige nationaux (cf. encadré «Le prestige China made»). Les 5000 montres à tourbillon Sea-Gull vendues en 2009, par exemple, sont achetées à 99 % par une clientèle chinoise.

ES:N’achètent-ils pas d’abord un tourbillon avant d’acheter une Sea-Gull?
JW:C’est fifty-fifty. Une partie choisit la marque car c’est la plus ancienne et connue de plusieurs générations de Chinois. Ceux-là sont fiers de l’essor de Sea-Gull. A court terme, nous visons 10 000 à 15 000 montres à tourbillon par an.

ES:Tao Li, PDG d’Ebohr (cf. Europastar de juin 2010), nous a annoncé le lancement prochain d’une gamme de montres à tourbillon «low cost», à partir de 10 000 yuans. Y a-t-il un marché pour ça?
JW:Absolument même si, pour une montre chinoise, plus de 10 000 yuans représente déjà le segment de luxe… Toutefois, Sea-Gull positionne le tourbillon dans une catégorie supérieure. Pas sûr qu’Ebohr vende davantage de montres à tourbillon à 10 000 yuans que les nôtres, à 30 000.

ES:Pourquoi?
JW:Car la psychologie de l’amateur de tourbillons est différente de celle de l’acheteur lambda. Son exigence est supérieure et veut notamment que le mouvement soit produit par la marque elle-même. Or, ces passionnés sont bien informés et savent que ni Ebohr, ni Fiyta ne produisent eux-mêmes leurs calibres...

ES:Selon Monsieur Tao toujours, les six producteurs chinois de tourbillons possèdent de grandes capacités de production qu’ils ne parviennent pas à exploiter à travers leurs propres marques. Fiyta et Ebohr, deux poids-lourds de l’horlogerie chinoise, les aideraient ainsi à y parvenir…
JW:Nos études sur la clientèle chinoise font ressortir deux choses: d’une part, sa culture horlogère est encore très lacunaire, rares sont ceux qui ont entendu parler de grandes complications et, d’autre part, elle ne conçoit pas investir plus de 10 000 yuans dans l’achat d’une montre nationale. Pour écouler une montre de luxe «China made», il faut impérativement un réseau de vente ad hoc qu’ Ebohr ne possède pas. Fiyta, en revanche, pourrait y parvenir car propriétaire d’une chaîne de magasins multimarques de luxe. Ebohr produit des montres populaires, possède un réseau de distribution populaire et sa clientèle n’est pas disposée à mettre 10 000 yuans sur la table, même pour un tourbillon.

Tianjin Sea-Gull Watch The model ST8080GB with a double tourbillon in platinum (38.98 grams), 40-mm diameter, 9-mm thickness, alligator strap, white gold clasp, sapphire crystal and case back, water-resistant to 30 metres.
The model ST8004ZA with a tourbillon, 316L stainless steel, date and retrograde day, 40-mm diameter, 9-mm thickness, alligator strap, sapphire crystal and case back, water-resistant to 30 metres.
The model 182SK (available in black, red, or blue), automatic movement with balance, skeletonised dial, stainless steel case, 38.5-mm diameter, 10-mm thickness, leather strap, water-resistant to 30 metres.

ES:Sea-Gull jouit d’une image certes plus haut de gamme et possède sa propre chaîne de magasins mono marque, mais ces derniers se comptent sur les doigts des deux mains…
JW:Car nous avons révolutionné nos méthodes de commercialisation, sans négliger la vente de détail. Nous croyons aux «cercles de vente» auprès de trois clientèles-cible: collectionneurs, membres du gouvernement et patrons d’entreprises. Sea-Gull invite ces personnes influentes dans un cadre amical tel un restaurant pour lui présenter sa gamme de montres. Certaines seront séduites et s’en offriront une, fières de porter une belle mécanique issue de l’horlogerie chinoise. Puis, de bouche à oreille, le cercle s’agrandit via l’entourage. Dans nos sociétés de surinformation, la recommandation d’un proche devient un argument de plus en plus important pour une marque. En trois ans, nous avons créé plus de mille «cercles de vente».

ES:Le président Hu Jintao a-t-il une Sea-Gull au poignet?
JW:En tout cas, il en possède une, tout comme le Premier ministre Wen qui nous a rendu visite.

ES:Les montres Sea-Gull sont élégantes, mais trop classiques pour séduire une clientèle jeune, sensible à la mode. Comptez-vous atteindre vos objectifs en la snobant?
JW:Pour une marque aussi conservatrice que Sea-Gull, faire des produits de mode représente un nouveau défi. Pour le haut de gamme, toutefois, nous conserverons notre style traditionnel. En revanche, nous ferons évoluer le design dans notre moyen de gamme à environ 3000 yuans pour viser les 25-30 ans. Quelques modèles sont déjà sur le marché, type squelette, avec de la couleur.

ES:Lors du Baselworld 2008, Sea-Gull a été victime d’un petit scandale. Racontez-nous!
JW:Deux homme d’une marque alors indépendante, depuis happée par le groupe Richemont, sont sauvagement arrivés sur notre stand, nous accusant d’avoir violé un élément de leur propriété intellectuelle sur notre double tourbillon. Nous étions désemparés à cause de la soudaineté de la plainte et des problèmes de communication. Aussitôt, nous avons engagé un avocat local pour représenter Sea-Gull afin de négocier entre le plaignant et le Conseil d’arbitrage. Cette nuit-là, nous avons fait envoyer en Suisse le brevet enregistré en Chine et de nombreux plans du calibre. C’est un maître horloger de 70 ans, ancien de chez IWC, qui a procédé à l’expertise. Après avoir feuilleté les documents et ausculté nos montres pendant 7 minutes, il déclara unanime: «Il n’y a absolument aucune similitude entre les deux systèmes». Plus tard, le vieil homme nous félicita pour notre double tourbillon et ajouta: «Sea-Gull devient le premier concurrent de l’industrie horlogère suisse». C’était aussi la première fois, depuis la Politique d’ouverture, qu’une compagnie chinoise remportait un procès à l’étranger contre une société étrangère. Cela créa une onde de choc qui traversa la Chine et le Bureau de la propriété intellectuelle…

ES:Pourquoi, à votre avis, une telle violence dans l’attaque?
JW:La Suisse est le royaume de l’horlogerie et compte bien le rester pour l’éternité. Jamais, elle n’acceptera jamais d’être seconde.

ES:Mais comprenez-vous aussi l’agacement des Suisses face à la contrefaçon horlogère chinoise? Ces deux hommes ont simplement assimilé Sea-Gull à cette industrie pirate…
JW:La copie n’est pas seulement d’origine chinoise, mais aussi indienne, russe et, d’une manière générale, de partout où l’on produit des mouvements. Pourquoi les montres suisses sont toujours copiées? Car ce sont les meilleures et qu’elles se vendent très bien. Mais il faut aussi dire que les entreprises horlogères suisses ne fondent aucune joint-venture avec des entreprises non-suisses car elles ne veulent absolument pas partager leur technologie. Dans un monde ouvert, cette attitude exaspère.

Tianjin Sea-Gull Watch The model ST8400VLGA ‘Pure Lady Tourbillon’, in an 18-carat pink gold case measuring 40.1 mm by 29.6 mm, bezel set with natural precious gemstones, alligator strap, sapphire crystal and case back, water-resistant to 30 metres.
Sea-Gull Tourbillon, identical to the Breguet model, but with a resolutely Chinese style.

ES:Il s’agit de protéger le label «Swiss made»…
JW:A ce propos, des négociations sont en cours entre la Chine et la Suisse car cette dernière aimerait entrer sur le marché chinois en franchise de droit. Or, beaucoup de montres suisses ne sont pas produites en Suisse, c’est une réalité. Votre gouvernement devrait absolument intensifier la réglementation du «Swiss made», c’est d’ailleurs la condition préalable exigée par la partie chinoise.

ES:Notez que Sea-Gull souffre également de contrefaçon!
JW:En fait, Sea-Gull est en conflit avec elle-même. D’une part, elle est fournisseur de mouvements et, d’autre part, elle est une marque horlogère. Mais Sea-Gull ne pourra jamais absorber à elle seule son énorme production de mouvements. Or, dès qu’on vend des mouvements à l’extérieur, on est fatalement victime de contrefaçon.

ES:Voilà pourquoi Nicolas Hayek voudrait que le Swatch Group cesse de fournir des mouvements à travers le monde, à commencer par les horlogers suisses. De plus, cela obligerait à des centaines de marques soit à se hisser vers le haut, soit à disparaître…
JW:Je suis entièrement d’accord avec lui.

ES:Faites donc la même chose!
JW:Oui, mais le faire est une autre histoire... Dans le passé, une montre était un accessoire de luxe mais, depuis les années 70, les Japonais les ont démocratisé grâce au quartz et à l’électronique. Nous devons bien survivre dans ce nouvel ordre mondial.

Tianjin Sea-Gull Watch The ateliers of Sea-Gull in its current factory. Soon Sea-Gull will move to the new industrial park in Tianjin, next to the factory of Airbus Industries. (Photo Jean-Luc Adam)
The development offices. Sea-Gull is waiting to move to its new factory in order to modernize the working areas. (Photo Jean-Luc Adam)
This will be the new Sea-Gull factory starting in autumn of 2010. This brand new facility is in Tianjin’s new industrial zone, next to that of Airbus Industries.

ES:Pour mettre un pied dans l’horlogerie suisse, Fiyta a acheté Montres Chouriet SA et Ebohr est co-fondateur de la marque Codex, à Bienne. Sea-Gull a-t-elle des visées sur une marque suisse?
JW:A l’heure actuelle, nous n’avons aucun de projet lié à une marque suisse. En revanche, nous investissons dans une entreprise suisse de mouvements qui, grâce à l’expérience de ses horlogers, nous permettra d’améliorer les mouvements Sea-Gull et d’atteindre la norme ETA. (Réd. Monsieur Wang nous présente quelques calibres Sea-Gull) Voici des prototypes de mouvements de qualité supérieure qui équiperont les millions de futures montres-bracelets Sea-Gull!

ES:A propos de Sea-Gull, la marque ne s’est pas toujours appelée ainsi, n’est-ce pas?
JW:Ce nom a été choisi en 1974 car c’est à cette date qu’ont débuté les exportations. Auparavant, la marque s’appelait Dong Feng («Vent d’est»), nom peu international et surtout très politique (Réd. Mao avait baptisé ainsi de nombreuses entreprises, selon sa maxime anti-occidentale «Le vent d’est souffle plus fort et plus longtemps que le vent d’ouest…»). Nous voulions un nom anglais et Sea-Gull («mouette») est un oiseau capable de grandes distances et donc d’emmener notre marque très loin.

Le prestige China Made?
Tirons un parallèle entre l’industrie horlogère et automobile chinoise car elles semblent suivre la même trajectoire! Les bricoleurs et copieurs automobiles disparaissent progressivement à chaque millésime pour laisser place à une poignée de marques qui se professionnalisent et s’internationalisent. C’est le cas de constructeurs privés – Geely, BYD, Great Wall Motor, Chery – mais aussi d’Etat – SAIC, FAW, DongFeng. La qualité et la technologie de leurs voitures s’améliorent rapidement, mais il s’agit de produits de bas ou moyen de gamme. Osent-ils déjà s’attaquer au segment de prestige, chasse gardée de Bentley, Rolls-Royce ou Maybach?
Oui, la preuve par deux au dernier Salon de l’automobile de Pékin, en avril 2010! Hongqi («Drapeau rouge»), filiale de First Automobile Works, présente la Hongqi CA7600J, version civile de la voiture d’apparat conçue pour le défilé des 60 ans de la République populaire de Chine. Ce monstre de 6 m de long est motorisé par un monumental 12-cylindres maison de 300 chevaux. Geely, désormais propriétaire de Volvo, utilise sa nouvelle marque Emgrand pour dévoiler la GE, sorte de Rolls Phantom de 539 cm reposant sur la plateforme de la Volvo S80 L. Son 4-cylindres 2,4 litres est accouplé à un moteur électrique pour développer au total 203 kW et 735 Nm! Si la Hongqi est déjà disponible sur commande, la Emgrand GE sortira en 2015.
A l’instar des montres chinoises à grande complication, il existe donc bien marché pour l’automobile chinoise de prestige. Mais à qui s’adresse-t-il? Il s’agit exclusivement d’une clientèle chinoise riche en quête de prestige national. Pour l’instant, les beaux carrosses anglais et les puissantes limousines germaniques n’ont pas de soucis à se faire, pas plus que les prestigieuses manufactures horlogères helvétiques. Mais jusqu’à quand? En 2009, la Chine est déjà devenue le premier marché automobile mondial, en 2025, elle deviendra probablement la première puissance économique et, en 2050, le PIB par capita correspondra à celui d’un pays développé.

Source: Europa Star Première Vol.12, No 4