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Louis Erard - Neo-classicisme compétitif

August 2011


Quand en 2003, à la tête d’un groupe d’investisseurs, Alain Spinedi (ex Sector, ex Swatch) reprend la marque Louis Erard, fondée en 1931, il opte pour une stratégie à peu près unique en son genre:se positionner entre 700.- et 2’000.- CHF avec une offre Swiss Made de qualité, exclusivement et intégralement mécanique.

Pour parvenir à tenir cette position difficile, il lui faut “renoncer à tout surcoût”, donc à chasser tous les “faux-frais”, à voyager modestement et, surtout, à n’investir qu’au goutte à goutte dans la publicité, voire à y renoncer totalement. Autre particularité, alors qu’à cette date on commence à assister à une surenchère mécanique et formelle et que ce sont les pièces les plus innovantes voire les plus folles qui tiennent le haut du pavé médiatique, Louis Erard offre une horlogerie assagie, formellement très classique avec laquelle la marque en renaissance entend bien se tailler une place singulière en entrée de gamme. Mais Alain Spinedi a vite conscience du danger de ce positionnement, à la merci de la concurrence, nommément du Swatch Group, qui, s’il en avait eu l’intention, aurait facilement pu occuper son terrain.

Louis Erard - Neo-classicisme compétitif

Alain Spinedi, EXCELLENCE REGULATOR WITH POWER RESERVE

Sage montée en gamme

La première alerte arrive vers 2006, année à partir de laquelle la tension monte singulièrement sur l’approvisionnement en mouvements et dès 2007 Louis Erard, qui jusqu’alors emboîtait environ 10’000 mouvements ETA par an, doit commencer à chercher activement des alternatives (auprès principalement de Sellita et de Soprod pour ses complications).

Parallèlement, la stratégie s’affine. Une légère montée en gamme devient nécessaire et l’offre de Louis Erard passe dans la fourchette supérieure: entre 2’000.- et 3’000.-CHF. Mais il lui faut justifier ce changement de positionnement tout en conservant la même attractivité. Louis Erard intègre donc de nouvelles complications – réserve de marche, phases de lune, chronographes – et se taille une réputation particulière pour son offre d’affichage de type régulateur. La marque s’efforce ainsi d’offrir toujours un peu plus que la concurrence pour le même prix.Ainsi Louis Erard se met-il à proposer des montres serties, comprenant bien plus de diamants que ses concurrentes de la même catégorie. La pas suivant est l’ouverture d’une nouvelle offre de montres en or, toujours offertes à des prix très concurrentiels. Une façon également d’asseoir l’image de la marque et de la légitimer.

Arrive la grande crise de 2008-2009. Un des contre-effets du subit ralentissement du marché est que l’offre de mouvements de premier prix s’ouvre à nouveau et que ceux-ci redeviennent disponibles. Alain Spinedi, en fin observateur de la scène horlogère et attentif aux erreurs de sa concurrence qui, bien souvent, est trop vite montée en gamme, en profite pour renouveler également ses collections d’entrée de gamme et revivifier ainsi ses premiers prix. La stratégie semble payante puisque à la sortie de crise, en 2010, Louis Erard connaît son année-record: + 14% en volume dans les premiers prix (qui représentent au total 55% de ses ventes), 35% des ventes qui s’établissent entre 2’000.- et 3’000.-CHF, ainsi que 30% de montres femme, essentiellement des montres serties, et enfin 500 montres or écoulées, soit 12% de son chiffre d’affaires. La justesse de sa stratégie pyramidale s’en trouve renforcée.

Lancement de l’Excellence

Le lancement en 2011 de la nouvelle collection Excellence s’inscrit donc dans le renforcement de cette stratégie jusqu’à présent gagnante. Après avoir renouvelé en 2010 son offre dans les premiers prix, Louis Erard entend à présent renforcer son offre médiane et haute, avec de nouveaux modèles en acier et en or, allant de 1’300.-CHF à 3’300.- CHF pour l’acier (jusqu’à 5’200.-CHF pour acier serti), et pour l’or de 5’200.-CHF à 11’000.-CHF (un lourd chronographe homme), en passant par 9’000.-CHF pour un chronographe dame serti.

Contrairement à de nombreuses autres marques, qui éparpillent leur offre et la subdivisent, la nouvelle collection Excellence n’est offerte qu’avec un seul et très pur cadran gris, pour tous les modèles. Soit sept modèles en tout, déclinables en acier ou en or: un régulateur, un régulateur avec réserve de marche, un modèle réserve de marche (équipés de modules-maison exclusifs) ainsi qu’une trois aiguilles automatique, un chrono homme phases de lune, un chrono dame simple et un chrono dame serti.

Vue dans son ensemble, la collection Excellence a, dit familièrement, “de la gueule”. Elle compose une famille de garde-temps à l’esthétique néo-classique très soignée, de très belle proportion (boîtier ronds de 40mm et 36mm pour les femmes, à l’exception d’un 42mm pour le chrono homme) et d’un affichage toujours très lisible, sobre, très élégant. On sent que les designers (les frères Scarinzi, à Bienne, qui dessinent toutes les montres Louis Erard) ont cherché à poursuivre et approfondir ce qui est désormais devenu un véritable style, parfaitement reconnaissable. Un style dont les codes s’apparentent visuellement à ceux de la Haute Horlogerie, sans vouloir pour autant prétendre faire partie du même périmètre. Ainsi, la collection Excellence ne comporte-t-elle pas de fonds transparents car il faudrait dès lors apporter aux seules finitions décoratives du mouvement un soin manuel qui en ferait exploser le coût. A cette absence de fond transparents, les réactions des détaillants sont contrastées, comme le relève Alain Spinedi: “nos détaillants qui vendent aussi du très haut de gamme disent que c’est juste d’avoir fait ainsi; ceux qui ne vendent que du moyen de gamme le regrettent parfois.” Il est vrai que les premiers ont dans leur magasin un point de comparaison que les autres n’ont pas.

Louis Erard - Neo-classicisme compétitif

EXCELLENCE CHRONOGRAPH

A l’écoute

Mais quoi qu’il en soit, Alain Spinedi reste très à l’écoute de ses détaillants, la distribution étant somme tout le nerf de la guerre. Sur ce point, sa stratégie est aussi très bien dessinée et, sous certains aspects, tout à fait intéressante. Ainsi, le marché suisse représente-t-il près de 30% de ses ventes – ce que peu de marques peuvent prétendre - avec 120 points de vente répartis dans tout le pays. “J’ai toujours pensé, explique-t-il, qu’il fallait que nous soyons forts dans notre propre pays et que Louis Erard était une marque suisse pour les Suisses. C’est aussi une question de légitimité. Je suis bien heureux de pouvoir dire aux détaillants étrangers qui me posent la question que nous sommes très présents dans notre propre pays, c’est important je crois”. Le reste de la distribution se répartit entre l’Europe, soit 25% avec principalement l’Italie, la Belgique, la Hollande et désormais l’Espagne et le Portugal, les pays de l’Est, avec 15%, le Moyen-Orient, avec 10%, le reste se répartissant entre différents pays asiatiques. Louis Erard étant encore absent de nombreux marchés, dont nommément la Chine et les USA (sans parler de l’Amérique du Sud ou, en Europe, d’importants marchés comme l’Allemagne ou la France) sa marge de progression reste donc très importante. Pour aborder ces marchés, Alain Spinedi n’a pas de recette-miracle mais des atouts, importants selon lui: la spécificité unique de son offre néo-classique exclusivement mécanique, l’excellence de son rapport qualité-prix, une image qui année après année renforce son identité propre et...son indépendance des grands groupes.

“A notre niveau de marque indépendante écoulant quelques 10’000 montres par année, tout est question de rapport direct, d’homme à homme. C’est là que se fait la différence, c’est là que se construit la confiance. Une confiance que nous réussissons à gagner aussi parce que nous démontrons avec constance que nous avons une stratégie claire, que nous n’y dérogeons pas, et que donc notre avenir est tout tracé. Les détaillants qui, comme à Hong kong, par exemple, avaient autrefois 100 marques et sont réduits aujourd’hui à dix marques le comprennent bien. Notre offre est parfaitement complémentaire à celle des grands groupes et ils le savent. Disposer ainsi d’une marque ’simple’, que le consommateur comprend rapidement, d’une marque qui respecte le consommateur en lui offrant plus que les autres pour le même prix est un avantage concurrentiel évident.” De quoi donc pour Alain Spinedi d’accumuler encore de nombreux miles, en classe économique, comme il se doit pour une marque sobre comme l’est Louis Erard.

Source: Europa Star Première Vol.13, No 4