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Edito:La complainte de ceux qui se noient

February 2013


Le refrain est connu, on l’a déjà chanté ici même à plusieurs reprises, mais il devient vraiment entêtant. Le refrain? La complainte, plus exactement, celle des petits indépendants qui se noient.

Ici, c’est une modeste mais tout à fait honorable maison qui, après dix ans d’efforts, voit les portes se refermer une à une devant elle. Là, c’est un indépendant solitaire dont les beaux produits émaillés avec soin et art ne trouvent plus grâce auprès de détaillants submergés de marchandises. Ici et là ce sont de petites structures très innovantes qui ferment la porte, des investisseurs qui lâchent prise et disparaissent dans la nature. Ou encore, c’est cette lettre ouverte reçue à la rédaction, en provenance d’une “société familiale indépendante” qui dit son “droit d’exister sans être sans cesse menacée par une attitude de rentabilité à court terme et une forme sauvage de capitalisme (...) une pression dévastatrice sur les canaux de distribution (...) qui va aboutir à un appauvrissement de l’offre”. Et cette même maison de plaider haut et fort pour que soient “rétablies des pratiques concurrentielles saines pour le meilleur de l’industrie et dans l’intérêt du client final”, avant de conclure en affirmant que “sans cette prise de conscience, il sera de plus en plus difficile d’apporter à notre belle industrie la fraîcheur d’alternatives qui font sens.”

Car derrière les chiffres triomphants de l’année – pour la première fois l’horlogerie suisse dépasse la barre des 21 milliards de CHF à l’export – la biodiversité du paysage horloger s’appauvrit inexorablement. Une à une les niches qui en faisaient la variété sont occupées par les grands groupes. Comment leur en vouloir? Pourquoi se retiendraient-ils alors que tout, à commencer par leur structure actionnariale, les pousse à faire du chiffre à tout prix et qu’une sourde guerre des vitrines fait rage?

Edito:La complainte de ceux qui se noient

Comment, par exemple, une petite maison horlogère spécialisée dans les Métiers d’Art peut-elle survivre – voire même simplement réussir à placer les quelques produits qu’elle transporte dans sa barque à rames – quand tout à côté les groupes arrivent avec des porte-avions remplis de palettes de montres de Haute Horlogerie?

Autre inquiétude quant à la biodiversité horlogère, les chiffres étincelants cachent mal une réalité qui, à terme, ne laisse pas d’inquiéter: la baisse des volumes (-15,3% en décembre 2012, -2,7% sur l’année) qui va de pair avec une augmentation de la valeur (+11,3% sur l’année). Cela signifie tout bêtement que moins de montres se vendent, mais à des prix plus élevés.

Cette évolution ne concerne pas seulement l’horlogerie, elle est largement partagée par d’autres secteurs. En fait, elle reflète un phénomène sociétal beaucoup plus général. En d’autres temps, plus politiques, on appelait ça “impérialisme”. Soit la tendance “naturelle” des gros à devenir de plus en plus gros, la propension des royaumes à se transformer en “empires”.

Ceci dit, des contre-feux s’allument ici ou là. Des initiatives sont lancées, des regroupements se forment. En d’autres mots, la vie continue, déjouant toujours les pronostics. Mais prenons garde à cette inflation générale des hostilités et à cette course en avant, car il y a là peut-être les prémices d’une nouvelle et grosse bulle.

Source: Europa Star Première Vol.15, No 1