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La Chine, le grand bond en arrière!

June 2013


Copie ou innovation? La Chine, le grand bond en arrière!

Un regard sans concession. Invité à prendre la parole lors du séminaire “La Chine et les Brevets d’invention: Copies ou innovations majeures?” organisé par le Centredoc de Neuchâtel le 11 juin 2013, notre collaborateur Jean-Luc Adam, responsable à Shanghai du bureau Chine d’Europa Star, a fait sensation. Fort de son expérience du terrain, dans les domaines de l’horlogerie et de l’automobile, il dresse un constat désabusé sur la “prétendue” course à l’innovation dans laquelle la Chine se serait lancée. En fait d’innovation, Jean-Luc Adam relève surtout copies, transferts de technologie, absence de création. Etayant ses propos par de nombreux exemples, il en appelle à un sursaut des économies et des sociétés occidentales qui, à ses yeux, risquent en s’engageant dans des politiques à court terme de perdre beaucoup à long terme.

Révolutionnaire!

En 2012, en Chine, il y a eu 1 250 000 de demandes de brevets – soit deux fois plus qu’aux Etats-Unis! – Avec la Chine dans la course à l’innovation, on peut déjà espérer un monde meilleur!

La Chine, le grand bond en arrière!

1 250 000… donnez ce chiffre aux journalistes et aussitôt, ils multiplient les éditions spéciales, aux titres ronflants! 1 250 000… donnez ce chiffre à des politiciens envieux et aussitôt, ils sépareraient l’Europe du haut, le bon grain, de l’Europe du bas, l’ivraie. Les analystes financiers sont les tout premiers clients car les chiffres sont à base des expertises ou des fameuses «notations». Chez les essayistes, ces chiffres déclenchent l’admiration ou la diabolisation sur un fond de «Péril jaune». Et surtout, il y a les industriels occidentaux, obnubilés par le profit et ne résistant pas à l’appel des sirènes chinoises, avec une petite délocalisation à la clé pour redonner le sourire aux actionnaires.

Mon ironie n’est pas gratuite, elle souligne la question du «chiffre officiel» dans nos sociétés reposant sur des systèmes économiques. En effet, le chiffre devient un «fait avéré» et même un baromètre de santé lorsqu’il est transformé en statistiques. En l’occurrence ici, tout indique que les Chinois innovent beaucoup. Sauf qu’en Chine, le régime communiste qui a sauvé sa peau en tirant des leçons de la chute du bloc soviétique, a su adapter habilement l’idéologie marxiste aux nouvelles règles mondiales; dans le but, bien sûr, que les apparatchiks conservent le pouvoir. Ainsi, le procédé reste le même et la statistique devient la nouvelle arme de propagande, le porte-voix d’une stratégie gouvernementale. En réalité, sur les trois types de brevets – brevets d’invention, brevets d’utilité et brevets de design – le Bureau national chinois de la Propriété intellectuelle reconnaît que seuls 217 000 sont d’intérêt supérieur… La Chine se vente aussi d’être numéro 2 mondial du nombre de «Think tank» avec ses 429 «laboratoires d’idées», mais là aussi, sur les 150 meilleurs du classement mondial, seuls 6 sont chinois.

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Innovation de papier

Aucun pays ne possède un bureau de statistiques aussi tentaculaire que la Chine. Le «Machin» emploierait 60 000 camarades répartis dans toutes les provinces du pays. Comme on le sait, les statistiques officielles sont systématiquement bonifiées, les petits et grands timoniers ont visiblement appliqué à la lettre l’adage de Winston Churchill – «Je ne crois aux statistiques que lorsque je les ai moi-même falsifiées». – Ensuite, l’agence de presse Xīnhuáshè distribue les bonnes nouvelles aux médias – tous sous contrôle de l’Etat. Avec complaisance, les différentes chaînes de la CCTV nous apprennent qu’il y a moins de morts dans les mines de charbon, moins d’émissions de CO2 dans l’air, moins de pauvreté dans les rues, moins de corruption grâce aux nouvelles mesures de l’Etat et plus de PIB cette année, plus de salaire pour les travailleurs et bien sûr, plus brevets de nos créatives entreprises nationales Dès mon arrivée en Chine, en 2008, mon assistant chinois Woody, réfractaire à la “soupe” propagandiste, m’a aussitôt mis au parfum – «Pour connaître la vérité en Chine, c’est très simple… il te suffit d’inverser les informations officielles».

Pékin planifie l’information ou le développement de la même façon qu’il planifie l’innovation. Objectif 2015, 5 millions de brevets. Pour parvenir à ses fins, Zhōngnánhăi – le kremlin chinois – a toujours une bonne recette, soit la répression, soit la censure, soit – plus moderne et plus persuasif – l’incitation fiscale. Et pour la booster, cette innovation, Pékin sert une double ration fiscale: à la fois des subventions et des déductions. En gros, une société chinoise dépose n’importe quel brevet – si possible un truc utile piqué à un rival étranger qui n’a pas eu la vigilance de protéger son invention en Chine – l’Etat paye tous les frais et en plus ils sont déductibles des impôts. A cette bonne combine s’ajoute un bonus car lorsque l’entreprise étrangère en question arrive sur le marché chinois, elle risque de se faire attaquer en justice à grands frais pour abus de propriété intellectuelle. J’exagère? C’est ainsi qu’une entreprise locale ayant déposé la marque «iPad» en Chine a attaqué en justice Apple pour violation de propriété et ainsi obtenu 60 millions de dollars de la part de la firme californienne. Plus méprisant encore dans le cas de Schneider Electric qui s’est fait traîner devant les tribunaux chinois par son propre sous-traitant, accusée de contrefaçon car le sous-traitant chinois avait eu le culot de protéger la technologie de son partenaire sur le sol chinois. Prix à payer pour le groupe français, 31 millions d’euros.

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Quelle portée ont ces brevets?

Mais peut-on vraiment déposer plus d’1 million de brevets sans un minimum d’innovation dans l’air? Absolument car c’est une stratégie! Cette pluie de brevets contribue à brouiller les cartes – à force d’être répété, un mensonge devient vérité – ce n’est rien d’autre que la tactique de tous les gouvernements détenant à la fois le langage, le savoir et la force. Soyons clairvoyants, les entreprises chinoises lancent des technologies qui n’ont rien de révolutionnaires, mais du «copié-collé» légèrement modifié de produits occidentaux issus d’entreprises étrangères venues en Chine pour les produire. Le transfert de technologie atteint désormais des domaines de pointe comme l’aviation. Le Comac C919 fera son premier vol commercial en 2016 et à moyen terme, Boeing et Airbus auront du mal à vendre des avions certes techniquement à la pointe, mais autrement plus chers. C’est déjà le cas dans la bataille du train à grande vitesse, le français Alstom et l’allemand Siemens souffrent lourdement de la concurrence de CSR et CNR, deux constructeurs chinois. La plupart de ces brevets servent évidemment à protéger les entreprises chinoises de ces copies légèrement modifiées, en particulier sur les marchés internationaux.

Dans l’automobile, le transfert technologique est plus difficile à suivre pour les marques chinoises car la technique automobile évolue à un rythme nettement plus rapide, avec un cycle de renouvellement des modèles inférieur à 5 ans. De plus, le client final n’est pas un Etat ou une grande compagnie qui investit dans des équipements de transport, mais bien un consommateur imprévisible face aux nouveautés technologiques, à l’image de marque et aux tendances de la mode.

Dans l’horlogerie chinoise, le retard technique est encore plus important puisque les mouvements mécaniques, automatiques et même à tourbillon sont basés sur des antiquités suisses ou russes. D’ailleurs, la valeur ajoutée est très faible puisque sur cette montagne de montres chinoises – 662,5 millions de pièces en 2012 – se vend au prix unitaire d’exportation d’à peine 3 dollars. Fiyta, Ebohr et Rossini, les marques horlogères chinoises les plus sérieuses, utilisent d’ailleurs principalement des mouvements japonais, fiables et précis. Mais dans l’automobile comme dans l’horlogerie, les marques chinoises n’ont pas de crédibilité et ni d’image de marque – ce sont des produits encore fonctionnels. Mais plus pour longtemps! Car dans ces deux secteurs, on constate une montée en gamme des marques chinoises, un segment bien plus lucratif. Pour ce faire, l’industrie horlogère chinoise proposera de petites complications horlogères relativement fiables et à prix abordable. Dans le cas de l’industrie automobile chinoise, elle occupera le segment «low cost» et même une partie du milieu de gamme sur tous les marchés émergents du globe, aux dépens des marques traditionnelles.

Donc si l’industrie chinoise copie moins grossièrement les produits occidentaux, elle n’innove pas non plus même si, comme nous l’avons dit, elle en donne la parfaite illusion grâce au stratagème des brevets et des statistiques.

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Phase de transition?

Comme de nombreux d’observateurs étrangers ou expatriés en Chine, j’ai d’abord assimilé cette situation à une phase de transition qui déboucherait enfin sur un véritable esprit d’innovation, réflexion a posteriori un peu naïve et comparable à celle qui voudrait que l’ouverture commerciale de la Chine apporte avec elle la liberté individuelle aux Chinois, ou encore que la production “à gogo” de panneaux solaires fasse de la Chine un pays écologique.

Cela me rappelle cette journaliste, envoyée spéciale de la chaîne franco-allemande Arte, venue à Shanghai durant l’exposition universelle de 2010 et qui m’a demandé conseil pour son sujet intitulé «La Chine, le nouveau géant vert». «Mais où voyez-vous de l’écologie en Chine? Regardez autour de vous les milliers de climatiseurs sur les façades d’immeubles dépourvus d’isolation thermique, de l’électricité issue essentiellement de centrales à charbon, des déchets jetés n’importe où sans aucune prise de conscience, une pollution alarmante et toujours plus étendue des cours d’eau… En vain, la journaliste était persuadée que la Chine abordait un “super virage” énergétique avec des forêts d’éoliennes sur la mer et des champs de panneaux photovoltaïques… Je lui proposé d’aller à Dōngtān, première ville écologique du pays, au sud de l’aéroport de Púdōng!» Quelle aventure, il nous a fallu des heures car pas un seul des 20 000 bus de la municipalité de Shanghai ne s’y rendait. Arrivés en taxi, nous avons découvert une ville fantôme, un chantier abandonné. Devant le fiasco de ce projet qui servait à faire illusion sur une approche écologique, la municipalité de Shanghai y accueille désormais de grosses usines grâce à de grosses incitations fiscales et pousse les Chinois d’autres provinces à acheter de l’immobilier à Dōngtān en offrant, en privilège, la «citoyenneté de Shanghai». L’aventure aura-t-elle fait comprendre à cette journaliste le concept du «double langage» utilisé par les autorités en Chine, «Ce géant vert… de gris»?

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Esprit d’innovation, es-tu là?

La Chine est la deuxième économie mondiale, elle produit absolument tout, de la vuvuzela à la station spatiale. En production, elle est leader dans des dizaines de secteurs: acier, électronique de l’information, appareils photos, climatiseurs, micro-ondes, vitamine C, pénicilline, tomate, textile, horlogerie et même en sex-toys, qui se taillent 80% du marché mondial. Pourtant, êtes-vous capable de me citer une seule, rien qu’une seule marque chinoise de renommée mondiale? Non car la Chine n’invente rien. Et en fait, elle ne produit pas non plus, elle reproduit.

Durant un laps de temps comparable, la petite Taiwan (23 millions d’habitants) s’est bâtie des fleurons industriels tels que Acer, Asus, HTC ou le numéro 1 mondial du vélo Giant et la Corée du Sud (50 millions d’habitants), Hyundai/Kia, Samsung ou encore LG

«Le mot innovation – Géxīn – n’est apparu dans la langue chinoise qu’après l’ouverture du pays, dans les années 80», précise Zhèngfēi Rèn, président directeur général de Huáwéi, géant des technologies de télécommunication et troisième plus importante compagnie chinoise en nombre de dépôts de brevets. Logiquement, cette entreprise chinoise devrait à la pointe de l’innovation… Et bien non, comme l’explique clairement Zhèngfēi Rèn lors d’une interview publique à Hong Kong, face aux questions de scientifiques du Noah’s Ark Lab, laboratoire de recherches du groupe Huawei. En voici un extrait!

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«En Chine, il n’y a pas le terreau pour la création» (Zhèngfēi Rèn, pdg de Huawei)

Qiang Yang, directeur du Noah’s Ark Lab: «Que pensez-vous de l’innovation en Chine, un pays qui, comme vous le savez, n’a jamais eu un seul Prix Nobel dans les domaines scientifiques. Comment faire pour le décrocher un jour?»

Zhèngfēi Rèn: Avant de parler de décrocher le Prix Nobel, il faudrait d’abord parler de l’esprit de création. Or, il n’existe pas en Chine car il lui manque un élément fondamental: un système de protection de la Propriété intellectuelle. Dans la Silicon Valley, les cerveaux travaillent dur, parfois jusqu’à l’obsession car les gens savent qu’en une nuit, une invention peut déboucher sur une véritable avancée. Des milliers de chercheurs y sacrifient leur temps, une poignée connaîtra le succès, à l’image d’un Steve Jobs. Cette avancée peut rendre financièrement très riche car le système protège à la fois son créateur et sa création. Otez cette protection, et le niveau de motivation s’effondre. En Chine, nous brisons nos talents car leur création est aussitôt volée et copiée. Face à la création, nous avons un grand problème. Imaginons, par exemple, que Facebook ait été inventé par un Chinois. Aussitôt, il aurait été copié à des milliers de fois, au point qu’à la fin, non seulement le créateur aurait jeté l’éponge, mais également de nombreux contrefacteurs. Aux Etats-Unis, la loi protège la propriété intellectuelle de manière si forte que même de très puissantes compagnies ne peuvent pas se permettre de payer des amendes en milliards de dollars. Protéger la propriété intellectuelle, c’est donner de l’espoir à notre recherche scientifique.

Qiang Yang: «Mais ça prend beaucoup de temps et coûte énormément d’argent!» Zhèngfēi Rèn: La recherche n’a rien d’une course aux profits, c’est un investissement à long terme – comptez 20 à 30 ans pour qu’une avancée profite à la société. Dans les télécommunications, par exemple, Irwin Jacob a fait une avancée dans le domaine des systèmes de codage des transmissions CDMA dans les années 60 qui a profité à la téléphonie portable des années 90. Pendant ce temps, nous, nous faisions la Révolution culturelle et qualifions de stupides ceux qui lisaient des livres. Osons-nous être jaloux d’un Irwin Jacob et que son entreprise Qualcomm ait rencontré un formidable succès? Il est temps de redescendre sur terre, les deux pieds bien posés au sol et travailler dur pour que dans 40 ou 50 ans, nous puissions avoir une lueur d’espoir.

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Fuite des cerveaux

La Chine a beaucoup de chemin à faire pour ne pas «briser ses talents», comme dit Zhengfei Ren puisque moi-même, j’ai rencontré un chinois de talent en la personne de Xùshŭ Mă, l’un des horlogers actuels les plus créatifs de Chine. Pourtant jeune homme, sous le régime communiste, Xushu Ma n’était pas autorisé à devenir horloger, comme il me l’a expliqué: «L’appel de la révolution, c’est votre seul choix, disait le slogan. Le travail vous choisissait, pas l’inverse… nous devions obéir. J’abordais donc l’horlogerie en hobby.» Arrivé à la cinquantaine dans les années 2010, les réalisations horlogères incroyables de Xùshŭ Mă séduisent la Beijing Watch Factory qui l’engage sur le champ. Pour le compte de la vénérable manufacture de Pékin, il crée le premier tourbillon bi-axial chinois – la marque expose le garde-temps dans les Salons horlogers avec ostentation mais ne le produit qu’à quelques unités. Puis, lorsque Monsieur Mă veut aller plus loin et créer d’autres complications plus audacieuses, les managers de la manufacture refusent catégoriquement – le spectacle est terminé, il doit désormais travailler sur ce qui rapporte. Monsieur Mă démissionne en constatant «Autrefois, c’était des lois qui m’empêchaient de créer, aujourd’hui c’est le marketing…»

Les surdoués, créatifs et autres génies chinois n’ont souvent pas d’autre alternative que de s’expatrier. A BaselWorld 2013, Monsieur Mă a suscité un vif intérêt de la part de nombreuses marques horlogères suisses.

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Chinois inventeurs, préjugé positif

Vu de l’Occident, on colle volontiers à la Chine l’étiquette d’une nation de grands inventeurs – n’a-t-elle pas inventé la boussole, l’horloge mécanique, le papier, la poudre à canon, l’arbalète, la fonte d’acier, les écluses et… Mon assistant chinois Woody m’arrête aussitôt, balayant ce cliché d’une seule phrase «Pff, toutes ces inventions ont plus mille ans!». En effet, les historiens s’accordent à dire que l’inventivité en Chine s’est fortement ralentie vers 1500. Monsieur Guō Fúxiáng, conservateur des horloges impériales de la Cité interdite de Pékin et auteur du livre L’art de l’horlogerie occidentale et de la Chine, m’a confié dans une interview: «La psychologie des Chinois est assez particulière, ils veulent surtout ce que le voisin n’a pas. Aveugles, ils ne cherchent pas à comprendre la technologie. Voyez les horloges, elles existent en Chine depuis si longtemps et pourtant, je m’étonne à quel point les Chinois ont si peu contribué à leur développement technique! Dans mon prochain livre sur les maîtres horlogers ayant travaillé dans la Cité interdite, je me sens toujours emprunté en évoquant les progrès mécaniques horlogers, il n’a y rien dont on puisse être fier.»

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Copie, entre vol et pub…

L’esprit d’innovation dépend aussi étroitement de l’idée que l’on se fait de la contrefaçon. En Occident, elle est considérée comme de la malhonnêteté, voire de l’escroquerie, alors qu’en Chine, elle est plutôt perçue comme de l’astuce voire de la ruse. Le gouvernement joue d’ailleurs le même jeu astucieux en prétendant lutter contre la contrefaçon – surtout aux yeux des étrangers – tout en laissant faire sur le terrain. Par exemple au Fake market de Shanghai, un marché de la contrefaçon sur plusieurs étages dans une rue fréquentée de la ville, on trouve à l’intérieurs des banderoles officielles disant: «Protégez la propriété intellectuelle, luttez contre cet acte illégal de contrefaçon de marques ou produits». Quelle incohérence! Les Occidentaux capables de lire les nombreux messages gouvernementaux disséminés partout dans les villes s’en amusent, alors que les Chinois ne les voient même plus car ils sont anesthésiés depuis l’enfance, dès l’école enfantine, par la propagande et par le double discours.

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En Chine, la honte n’est pas de mise pour le contrefacteur. En 2010, j’ai visité le constructeur automobile Lifan Motors, à Chóngqìng, j’ai demandé à l’ingénieur en chef Dong Xu pourquoi le modèle 320 ressemblait tant à la Mini ou pourquoi la berline 520 reposait sur une plateforme de «Dōngfēng Fùkāng», alias Citroën ZX: «C’est une étape industrielle qui a aussi existé en Europe», ai-je obtenu pour toute réponse. Au dernier Salon automobile de Shanghai, en avril dernier, j’ai constaté une fois de plus que la quasi totalité des nouveaux modèles chinois présentés repose sur de la récupération de technologies délaissées par les constructeurs internationaux produisant en joint-venture en Chine ou par le rachat d’anciens outils industriels. La différence, aujourd’hui, c’est que les moteurs, les essieux, les transmissions, l’électronique sont toujours mieux présentés. Les carrosseries qui mixent les designs de marques célèbres, la qualité d’intégration, le choix des matériaux et la finition progressent d’année en année. Bref, les dernières générations de voitures chinoises ont l’air toujours plus modernes mais dessous, c’est de la technique dépassée.

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BYD Auto est le plus audacieux constructeur automobile chinois, pionnier mondial de la propulsion électrique et hybride. Paradoxalement, il copie sans vergogne les designs des modèles japonais sur pratiquement toute sa gamme: BYD F1 (alias Toyota Aygo), F3 (Toyota Corolla), F6 (Honda Accord), S6 (Lexus RX) et M6 (Toyota Previa). Sur cette question précise, les responsables de BYD Auto m’ont expliqué que ces designs étaient libres de droit puisque les constructeurs en question ne les ont pas protégés explicitement sur le territoire chinois. Bien que certains modèles ne soient pas commercialisés sur le marché chinois. Pour l’aspect extérieur, les constructeurs japonais ont résolument adopté la «zen-attitude», ignorant superbement ces pseudo Toyota, Honda, Suzuki, Daihatsu, Subaru ou Nissan car les Japonais savent pertinemment que, dans un pays où le moindre détail dans l’écriture ou la phonétique change le sens du tout au tout, aucun Chinois ne confondra jamais l’original avec sa copie. Mieux, le client d’une BYD F3 (copie à moitié prix) n’est pas celui d’une Toyota Corolla Sedan, mais il le sera dès qu’il en aura les moyens. Il en rêve déjà… Finalement, sur le jeune marché chinois, la copie fait un peu la promotion de l’originale.

Mais que se passe-t-il si un constructeur étranger estime que la copie n’est pas «la rançon du succès»? Voici quelques exemples de procès afin d’évaluer les chances de gagner face la contrefaçon.

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Cas juridiques en Europe

En 2008 et 2009, BMW a attaqué le constructeur Shuānghuán qui a copié la forme du BMW X5 avec son modèle CEO. En premier jugement et en appel au tribunal de Munich, BMW a gagné le procès et obtenu la destruction des quelques modèles importés en Allemagne, plus une indemnité! En revanche BMW a perdu le même procès en Italie, au tribunal de Milan, contre l’importateur Martin Motors. Cette Shuānghuán CEO est donc toujours commercialisée en Italie, mais aussi dans plusieurs pays d’Europe de l’Est. Au même moment, Mercedes attaque en Italie et en Grèce l’importateur de la Shuānghuán Noble, copie de la Smart. Le constructeur allemand obtient du tribunal de Milan l’interdiction d’exposer la copie au Salon automobile de Bologne, mais en revanche, il est débouté par le tribunal du Pirée, estimant l’architecture technique radicalement différente – en effet, la Smart originale a le moteur à l’arrière alors que celui de la Noble est à l’avant. Quelle astuce!

Notez qu’aucun des deux constructeurs allemands en question n’a osé attaquer directement Shuānghuán en Chine, bien que ce dernier poursuive toujours la commercialisation de ces deux clones et que BMW y commercialise le X5 et Mercedes, la Smart fortwo… Est-ce étranger au fait que la Chine soit en passe de devenir le premier marché pour BMW et Mercedes? De son côté, le porte-parole de Shuānghuán, propriété d’un ex-haut gradé de l’armée chinoise reconverti dans l’automobile, m’a finalement avoué le but ultime de son patron: «Le chef espérait que Mercedes ou BMW rachète la marque plutôt que de l’attaquer en justice à grands frais. En contrepartie, le constructeur allemand aurait hérité du site de production ainsi que d’un réseau de distribution». Le plan a échoué…

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Cas juridiques en Chine

Seul Fiat a osé pousser un constructeur Chinois devant les tribunaux chinois, en l’occurrence le constructeur privé Great Wall Motors pour «copie de la Fiat Panda par le modèle Great Wall Peri». Avouons que le constructeur italien n’avait pas autant d’intérêts à défendre sur ce marché que BMW et Mercedes, les marques du groupe n’y sont pas ou peu représentées. En juillet 2008, Fiat a perdu devant le tribunal de la ville de Shíjiāzhuāng, condamné à payer 1290 dollars, plus les frais de tribunaux. Presque au même moment, à Turin, Fiat remporte le même procès face à Great Wall Motors qui doit s’acquitter de 15 000 euros de dommages et 50 000 euros d’amende à chaque modèle Peri qui serait importé dans l’UE – ce que Great Wall ne fera jamais. En janvier 2009, Fiat perd finalement en appel à la Haute Cour de Shíjiāzhuāng. Mais coup de théâtre: en juin 2009, Great Wall Motors retourne la situation et accuse Fiat d’espionnage lors du développement de la Peri. Juin 2011 à Turin, Great Wall perd en appel face à Fiat et doit payer 30 000 euros. Au tribunal de Shíjiāzhuāng, Great Wall Motors abandonne finalement les poursuites contre Fiat pour espionnage, le constructeur de Baoding ayant stoppé la production de la Peri, rebaptisée astucieusement M1.

Autre cas en 2004 opposant General Motors à Chery pour la copie de la Daewoo Matiz, produit de la filiale sud-coréenne de GM. Le groupe américain réclamait 80 millions de yuans (12 millions de francs) de dommages et intérêts mais finalement l’affaire ne sera pas réglée par la voie judiciaire, mais politique. Le public ne saura jamais quelle fut la contrepartie offerte à GM, mais ce qui est sûr c’est que Chery – jusque là rattaché à la joint-venture Shanghai-GM – trouve son indépendance à la suite de cette affaire. En quelque sorte, l’attaque de GM a directement profité à Chery.

Plus récemment, fin juillet 2012, First Automobile Works (FAW) – l’un des quatre grands constructeurs d’Etat chinois, le plus ancien (1953) et assurément le plus «gouvernemental» – a été pris la main dans le sac, copiant moteurs et transmissions de son partenaire, le groupe Volkswagen. Xú Jiànyī, pdg de FAW, s’était excusé auprès de son homologue allemand, Martin Winterkorn. L’affaire fut close car les médias chinois n’ont pas été «invités» à propager l’information et Wolfsburg – qui vise 4 millions de véhicules vendus à l’horizon 2018 sur le plus grand marché automobile mondial – n’allait pas se brouiller avec Pékin en portant le cas en justice.

Au bilan, on constate que nos entreprises occidentales, aussi grandes soient-elles, n’ont guère de chance de gagner un procès pour contrefaçon ou abus de propriété intellectuelle sur le territoire chinois. Non seulement la perception de la copie est très différente en Chine, mais surtout c’est un combat de David contre Goliath, en particulier face aux constructeurs d’Etat. Ceci nous met face à deux problèmes cruciaux, d’une part la nouvelle superpuissance politique de Pékin et, d’autre part, notre nouvelle super-dépendance économique du marché chinois.

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Climat hostile à l’innovation

La Chine nous bombarde de chiffres et désormais de brevets et nous, Occidentaux béats d’admiration, en perdons notre sens critique. Nos hommes politiques, sont trop vite enclins à signer des accords avec Pékin dans l’espoir de participer à cette pseudo success story. Comme toujours, les autorités chinoises – à l’instar du nouveau chef du gouvernement Lĭ Kèqiáng, récemment en visite en Suisse – jouent à la fois sur le registre de la pitié et du potentiel de croissance économique, disant en substance: «Nous sommes un pays encore pauvre car si on divise notre PIB par 1,3 milliard d’habitants ça ne fait pas grand-chose. Mais notre potentiel est énorme, investissez vite!». Mais au-delà de leurs promesses aguichantes, a qui avons-nous vraiment affaire?

Ouvrons les yeux! En 2013, la Chine compte 122 milliardaires en dollars – dont 83 sont membres du parlement… un gouvernement prétendu communiste – et il y a encore environ 2 millions de millionnaires en dollars! 98% des dirigeants ont placé un ou plusieurs membres de leurs familles – peu importe leur niveau de compétence – à des postes importants du gouvernement et au sommet des grandes entreprises publiques et privées, (une véritable aristocratie rouge). Dernier scandale parmi les «fils de et filles de», la petite-fille de Mao Zedong est entrée dans classement des plus grandes fortunes de Chine. Les secrétaires du PC se sont métamorphosés en capitalistes soucieux du bon développement économique. Mille familles du parti tiennent le pays d’une main de fer, les gouverneurs de provinces sont quasiment rois sur leur domaine.

Le peuple n’a toujours pas le droit de s’établir librement dans le pays, la liberté syndicale est inexistante, il n’y a en Chine aucune société civile pour s’opposer aux décisions de l’Etat, il n’y a pas justice sociale et la police secrète est omniprésente, les arrestations arbitraires sont quotidiennes, 30 000 cyber-policiers traquent les cyber-dissidents, la muraille électronique de Chine bloque les informations de l’étranger et certains mots-clés tapés sur les moteurs de recherches peuvent vous attirer des ennuis.

Le gouvernement a pourtant signé des accords et des conventions à l’ONU sur les droits civiques, sur la liberté d’expression, sur le respect des droits de l’homme… à New York, on applaudit les signatures… mais les autorités chinoises ne les appliquent jamais. Ici, on retrouve encore ce double discours, dans le mépris des lois et de son propre peuple. Quel lien avec l’innovation me direz-vous? Premièrement dans les conditions actuelles, les peuples de Chine ne peuvent pas créer ou innover, mais uniquement obéir et craindre. Deuxièmement, l’objectif suprême des managers chinois n’est pas de rayonner dans le monde par des produits remarquables, mais d’occuper rapidement des segments de marché afin de s’enrichir… financièrement et personnellement.

Population aliénée

On découvre aujourd’hui une nouvelle problématique avec l’arrivée d’une nouvelle génération de managers, issue de la politique de l’enfant unique. Cette génération de managers – élevés tel un enfant-roi – est souvent dénuée d’empathie, exploitant sans scrupules leur personnel, notamment au niveau du temps de travail. Les 40 heures par semaines sont rarement respectées. J’ai de nombreux amis chinois, employés dans les entreprises, qui font fréquemment 50 à 60 heures sans compensation aucune. Le mécontentement des employés explique, en outre, le taux de rotation élevé du personnel.

Mais il serait partial de reporter toute la culpabilité sur les patrons et l’Etat. Le peuple chinois porte également sa part de responsabilité. Pas la peine de naître dans une famille riche ou puissante pour être élevé tel un enfant-roi, c’est même le mode d’éducation le plus répandu dans les familles. Cette éducation fait disparaître les valeurs morales, pourtant ancrées dans les philosophies anciennes, valeurs déjà entamées par le communisme et encore dévaluées par le capitalisme sauvage, résumé par la fameuse déclaration de Dèng Xiáopíng: «Chinois, enrichissez-vous!». Les abus en tout genre explosent en Chine, comme nous en lisons souvent dans les médias. La plus emblématique dérive est l’histoire récente de cette petite fille de 2 ans écrasée par un chauffeur qui décide de l’écraser une seconde fois sous prétexte que morte, il ne payerait que 10 000 yuans de dommages alors que vivante, ce serait 10 fois plus… Ce n’est pas fini! La caméra de surveillance montre au total 18 passants évitant l’enfant agonisant sans intervenir ni prévenir les secours. La vidéo qui a fait le tour du monde, est révélateur de ce que devient la Chine d’aujourd’hui. Pensez-vous vraiment qu’un esprit de créativité, d’innovation et d’excellence puisse germer et s’épanouir dans une société qui est en train de se déshumaniser?

J’aimerais conclure en disant que la forte volonté de consommation en Chine et son extraordinaire ambition à se hisser au sommet des nations ne suffisent pas à en faire un Eldorado. Seules de profondes réformes pour une réelle protection de la propriété intellectuelle permettraient enfin de passer de la copie à l’innovation et faire de la Chine, un partenaire à long terme. La vision à court terme qui prévaut aujourd’hui dans le commerce, avec du «chacun pour soi», est en contradiction avec un avenir meilleur. Car les quelques milliards de bénéfices qu’une poignée de multinationales parviennent à dégager chaque année sur le marché chinois seront les centaines de milliards de perte que nos sociétés occidentales risquent d’encaisser avec le danger de détruire nos acquis sociaux.