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Edito - Quand l’air se raréfie

December 2013


Est-ce un signe fort, un simple symptôme, un “accident industriel” ou un “dégât collatéral”? Quel que soit le verdict retenu, le fait que le GTE (Geneva Time Exhibition) n’ait pas lieu cette année en parallèle au SIHH de Genève pose question. “Nous avons décidé d’annuler l’édition du GTE 2014 en raison d’un nombre d’exposants trop faible. En effet, de nombreux horlogers indépendants subissent des difficultés en cette période et préfèrent concentrer leur énergie sur BaselWorld et sur les marchés locaux”, nous a-t-on répondu.

Edito - Quand l'air se raréfie

Divers reproches ont pu être adressés au GTE, créé en 2010 et qui avait encore réuni l’année dernière 34 exposants et accueilli 7000 visiteurs au centre de Genève, dans un lieu magnifique. Les organisateurs du SIHH accusaient régulièrement ce salon de profiter gratuitement de la venue à Genève, tous frais payés, de milliers de détaillants et de clients du monde entier. Mais de grandes marques, notamment celles du groupe LVMH ou encore le groupe Franck Müller avec sa World Presentation of Haute horlogerie, n’agissent-elles pas de même en toute impunité dans les palaces et les propriétés du bord du lac? Il suffit d’observer le chassé-croisé des limousines qui viennent plus ou moins discrètement chasser le client aux abords du SIHH pour s’en persuader! Mais après tout, n’est-ce pas là la rançon du succès? Tous les festivals du monde connaissent leur programmation “off”. Autre reproche souvent formulé, le mélange des genres et des catégories. Car on trouvait un peu de tout au GTE, sans trop de hiérarchie, il est vrai, de la marque artisanale de très haute horlogerie à la petite marque fashion quartz. Mais ce reproche, provenant de marques “bien-nées” qui ne veulent surtout pas être confondues avec le tout-venant, ne frise-t-il pas l’eugénisme?

Après tout, n’y a-t-il pas de la place pour tout le monde?

Eh bien non! Il n’y a plus de place pour “tout le monde”. C’est un amer constat que corroborent de récentes études, dont celles du Crédit Suisse et du cabinet Deloitte, qu’on ne saurait suspecter de “gauchisme”. La verticalisation en cours de la production et de la distribution, phénomène marquant de ces dix dernières années, est jugée comme étant “une menace” sérieuse par près de 70% des marques, des distributeurs et des revendeurs indépendants interrogés.A ce propos, lire dans Europa Star 6/2013 notre compte-rendu de ces deux études. Rencontré récemment, le propriétaire d’une petite marque du milieu de gamme suisse, de retour de Chine, nous expliquait que désormais la seule opportunité restante aux petits indépendants était de vendre des montres directement, de la main à la main. “Tout est bouclé à triple tour, tout”, nous disait-il.

On voudrait ne pas le croire mais force est de constater que cette plainte des sans-grades de l’horlogerie se fait entendre de plus en plus régulièrement. Dans ce contexte, l’annulation du GTE paraît “logique”. Et en effet, le grand caravansérail de BaselWorld semble plus propice aux petites marques indépendantes, et ce bien que les tarifs pratiqués y soient devenus prohibitifs pour certains. Mais, on ne le dira jamais assez, cet assèchement de l’offre horlogère, de plus en plus concentrée entre quelques mastodontes, est une perte dommageable pour tous.

Quand la “biodiversité” recule, quand le tissu industriel et artisanal se rétrécit, quand les alternatives disparaissent, l’appauvrissement culturel s’ensuit.

Les chiffres macroéconomiques ont beau prendre l’ascenseur, la folle passion, l’invention sans frein, le risque casse-cou restent souvent coincés au rez-de-chaussée. Et pendant ce temps, tout là haut, l’air se raréfie.

Source: Europa Star Decembre - January 2013/14 Magazine Issue