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CASE STUDY – MB&F, la stratégie des machines célibataires

January 2011


Dans la paysage des marques indépendantes, MB&F, pour Max Büsser & Friends, occupe depuis 5 ans une place très particulière. Plus que toute autre start-up horlogère (un terme que Max Büsser réfuterait immédiatement) MB&F trace une piste inédite qui cherche à donner à l’horlogerie mécanique une “dimension” stylistique radicalement nouvelle.

Comment la définir plus précisément? Car, d’un modèle à l’autre, tout diffère et pourtant tout est immédiatement reconnaissable à une certaine “patte” créative. Entre la première Horological Machine, la HM1 en forme de grand huit, et la plus récente, la HM4 Thunderbolt en forme d’avion furtif, en passant par la HM2, une grande table de saphir, la HM3 et ses deux protubérances, transformées en yeux de grenouille dans la version HM3 Frog ou en délire joaillier dans la récente Jwlrymachine créée avec Boucheron, les formes, les fonctions, l’apparence et le feeling qui se dégagent des pièces sont à chaque fois bien particuliers.

La grande force des Horological Machines développées par Max Büsser qui, on le rappelle a été le créateur du concept des Opus pour Harry Winston Rare Timepieces qu’il a dirigé pendant 7 ans, est d’échapper totalement aux contingences des tendances dominantes en proposant des “machines célibataires” stylistiquement autonomes, affranchies des contingences esthétiques courantes, un peu comme le ferait un artiste singulier. Mais l’art exercé ici par Max Büsser serait plutôt celui de chef d’orchestre.

Car en effet, l’autre remarquable particularité de son concept global est d’avoir dès le départ exclu toute velléité de verticalisation ou de “manufacture” pour ne travailler en toute transparence qu’avec un large cercle de “Friends”, collaborateurs créatifs extérieurs (citons entre autres le designer Eric Giroud, fidèle premier violon) et fournisseurs de pointe, (deux d’entre eux, Agenhor et Les Artisans Horlogers font l’objet de portraits dans l’article Les Maîtres-Mécaniciens, à lire dans ce numéro). Une façon de dire également qu’il n’est le “fils” de personne mais l’ami de beaucoup. Une forme de déclaration d’indépendance et de différence inscrite dans le nom même de sa marque.

CASE STUDY – MB&F, la stratégie des machines célibataires Max Büsser, HM3 FROG

Buzz massif et rareté organisée

Troisième particularité de cette véritable entreprise-concept qu’est MB&F, la minutieuse organisation promotionnelle mise en oeuvre dès la fondation il y a 5 ans, et la rareté tout aussi méticuleusement organisée: 145 pièces en 2010 vendues dans 20 points de vente mondiaux, avec un sell-out de 100% en 2009 (2010 n’étant pas clos au moment où nous écrivons), pour un chiffre d’affaires d’environ 7 millions de CHF (soit un prix moyen sell-in d’un peu plus de 48’000.-CHF par montre). Mais pour y parvenir, le chef d’orchestre a dû se muer en globe-trotter.

Littéralement partout tout le temps, il s’est fait l’incessant promoteur et avocat de sa propre cause. Mais soulignons qu’il disposait pour y parvenir d’un solide atout que beaucoup de jeunes marques lui envient avec raison: un carnet d’adresses rempli du temps de ses Opus et d’Harry Winston qui lui a tout de suite ouvert nombre de portes très calfeutrées et très verrouillées. Il a su aussi organiser avec maestria un véritable buzz planétaire autour de la sortie en forme de suspense organisé de chacune de ses nouvelles pièces. Dominant parfaitement la large palette des outils de communication aujourd’hui à disposition, ayant compris avant tous les autres que, dans la compétition que se livrent les supports horlogers qui ont partout poussé comme champignons électroniques ou de papier, les journalistes sont prêts à se damner pour obtenir une exclusivité ou une avant-première, parvenant ainsi à obtenir un écho médiatique que même de très grandes marques peuvent lui envier. Il a aussi délibérément visé une nouvelle génération de jeunes et riches aficionados asiatiques friands de “folies” mécaniques exclusives et une nouvelle classe de collectionneurs amateurs d’avant-gardisme horloger.

CASE STUDY – MB&F, la stratégie des machines célibataires HM4 THUNDERBOLT

N’annoncer que ce qu’on peut livrer

Mais tout ceci aurait été vain si le produit n’avait pas été à la hauteur et si les livraisons n’avaient pas suivi. Se méfiant donc des purs effets d’annonce comme de la peste, Max Büsser a également su livrer ce qu’il annonçait. Rien qu’en 2010, il a annoncé, lancé et livré quatre lignes: la HM2 Saphir, la HM3 Frog, la furtive HM4 et la Jwlrymachine faite de concert avec Boucheron.

Mais lui-même le reconnaît: malgré sa force de persuasion et la “machine” médiatique qu’il a su organiser, chaque nouveau lancement est un pari. Et il se retrouve ainsi confronté à un délicat challenge car 80% de son chiffre d’affaires cette année est constitué de nouveautés. Si une seule ne remportait pas les suffrages de son public, tout son édifice en serait affaibli car c’est le succès d’un modèle qui finance le suivant. 2009, par ailleurs, n’a pas été une année simple et Max Büsser, de son propre aveu, a dû “batailler ferme” pour parvenir à écouler l’intégralité de ses 145 pièces. Mais il y est parvenu et y parviendra certainement à nouveau cette année, en espérant graduellement monter au niveau des 200 pièces par an.

Pour pouvoir encore mieux diffuser sa démarche particulière et la qualifier plus nettement encore, Max Büsser va prochainement ouvrir une galerie d’art. Car à ses yeux, “montrer comment on travaille, comment on conçoit, comment on crée est tout aussi important que la montre elle-même.”

Mais il a aussi deux ou trois petits secrets. S’il exige parfois l’impossible pour ses montres, comme le bloc de verre saphir de la HM4 dont l’usinage dure 150 heures par pièce et coûte à lui seul 15’000.-CHF, savez-vous pourquoi aucune de ses montres n’a d’indication de seconde? Ou pourquoi aucune ne sera jamais livrée avec un bracelet caoutchouc? Nous ne vous donnerons pas la réponse car ce ne seraient plus de petits secrets!

Source : Europa Star Première Vol.12, No 6