premiere


BabelWorld

June 2013


430 millions de CHF pour le nouveau bâtiment des architectes-stars Herzog & de Meuron, 1’000 nouveaux stands édifiés par 20’000 personnes, 3’500 journalistes accrédités, dont 500 Chinois! Plus BabelWorld que jamais, BaselWorld a atteint cette année des sommets de luxe et de puissance encore jamais atteints. Mais si les surfaces à disposition ont augmenté, atteignant 141’000m2, dont 83’000m2 autorisant la construction de stands de plusieurs étages, le nombre d’exposants a singulièrement diminué, passant de 1892 exposants en 2012 à 1450 cette année. “Nous privilégions la qualité à la quantité”, a expliqué Jacques Duchêne, l’inamovible président du comité des exposants, ajoutant que, depuis 1999, date de l’ouverture de la Halle1, “tout a changé: les mentalités, les produits, la communication, sans même parler de la concentration et de la consolidation” qui ont radicalement transformé le secteur horloger (et joaillier, mais dans une moindre mesure) au cours de ces 15 dernières années. A quatre , Pierre Maillard, Paul O’Neil, Malcolm Lakin et Keith Strandberg –synthétisent l’essentiel, dans les différents articles du magazine, de ce qui y a été montré et de ce qui y a été dit (ou non dit), afin d’en tirer quelques constats et un état général des lieux qui englobe la plupart des aspects de l’horlogerie mondiale (tâche impossible que de tout résumer, que les absents nous pardonnent, leur tour viendra). ).

  Une horlogerie hors-sol

Vu de l’extérieur, le nouvel écrin architectural de BaselWorld, au fuselage en forme de long navire métallique à double pont, reflète assez fidèlement une certaine arrogance présente de l’horlogerie. Au-delà de sa forme intrinsèque et de l’exploit constructif, avec notamment un spectaculaire puits de lumière qui traverse sur quelques dizaines de mètres de hauteur le bâtiment jeté, tel un pont, au-dessus de la place centrale et du noeud des tramways, le nouveau bâtiment coupe sans égards urbanistiques la longue perspective de l’avenue qui débouchait autrefois sur la très pure et très géométrique “plus haute tour de Suisse”. Celle-ci semble désormais tronquée. Comme si, symboliquement, l’horlogerie était “hors-sol”, au-dessus de tout et n’en faisait qu’à sa guise (le bâtiment abrite aussi la célèbre foire ArtBasel, et l’on pourrait dire de même du monde de l’art contemporain).

BaselWorld 2013
BaselWorld 2013

Mais c’est une fois qu’on a pénétré dans ce temple métallique suspendu horizontalement, qu’on peut prendre la véritable mesure – ou démesure - du luxe que l’horlogerie aime à afficher. Chaque marque présente a saisi l’occasion pour investir fortement dans sa propre image. On passe ainsi au pied des stands en lisant leur architecture comme autant de vibrants statements. La plupart des marques ont cherché à donner avant tout une impression de force, de solidité, de puissance et de richesse. Soumis à ce brief, les architectes, au-delà de leurs différences formelles, ont logiquement opté en majorité pour de solides et luxueux cubes souvent refermés sur eux-mêmes, arborant à l’extérieur les insignes matériaux de la marque: logos, emblèmes iconiques comme le Serpenti de Bulgari qui structure toute la façade, jeux de matières nobles, écrans à profusion, photos géantes. Mais paradoxalement, ce sont les structures les plus légères et les plus ouvertes qui ont été les plus remarquées, que ce soit la poétique jungle de mouvements tombant en pluie à l’intérieur du stand de Citizen, la boucle immaculée et vibrante de lumière de Swarovski, l’absolue et moderniste transparence du modeste stand d’un nouveau venu, Shinola, ou, de toute évidence, l’emblématique “cabane” de bois construite par Toyo Ito pour Hermès.

The Citizen stand
The Citizen stand
The Hermès stand
The Hermès stand

  Hermès, “ce qui compte, c’est l’essence”

En proposant un espace semi-ouvert en forme de vague, léger, d’apparence fragile, qui semble temporaire et non pas posé là pour l’éternité, le récent récipiendaire du Pritzker Prize 2013 (le “Nobel” de l’architecture) donne d’Hermès une image singulièrement à part. Pour Pierre-Alexis Dumas, directeur artistique général d’Hermès et fils du regretté Jean-Louis Dumas, “ce pavillon est à la hauteur de la philosophie particulière d’Hermès: ce qui compte n’est pas l’apparence, mais l’essence. Moins qu’une quelconque machine à vendre, c’est une maison à partager, un lieu où échanger dans la transparence, la douceur, la tranquillité. L’esthétique de la violence et de l’agressivité, ce n’est pas Hermès.” Toyo Ito n’est pas en reste et affirme tout de go avoir “cherché une forme d’humanité qui tranche avec notre époque tout entière tournée vers le business et le profit.” Assis à converser dans un des bureaux de la “cabane”, baigné de lumières douces et dans une acoustique qui permet de parler à voix basse (chose pas toujours évidente à “BabelWorld”), dévinant le flux des passants à travers la résille de bois et les plantes vertes qui ceinturent tout l’édifice, on ressent un singulier bien-être. Un sentiment comparable à celui que doit ressentir le porteur d’une Arceau Le Temps suspendu au moment où il immobilise les aiguilles de sa montre. Car c’est aussi cette très grande cohérence entre le pavillon Hermès et les produits Hermès qui justifie l’authenticité de cette démarche architecturale. Un mot revient ainsi sans cesse, autant dans la bouche de Pierre-Alexis Dumas que dans celle de Toyo Ito: le mot “dialogue”. Tout comme l’Arceau Le temps suspendu instaure un dialogue entre la montre et le porteur, l’architecture du pavillon est le fruit d’un profond dialogue entre le commanditaire et l’architecte, dialogue poussé très loin dans les détails. “Le dialogue est à la base de notre démarche”, explique Pierre-Alexis Dumas. “Il en va de même dans ce qu’on appelle le design. Le design ce n’est pas le dessin d’un créateur-démiurge: c’est un processus de réflexion commune mené par l’échange.” Tautologie? Oui et non. Car au vu de nombre de produits présentés à BaselWorld, on a parfois l’impression que ce nécessaire dialogue n’a pas toujours été mené jusqu’au bout entre les différents partenaires d’une aventure commune. Car qu’on le veuille ou non, l’horlogerie reste un art collectif.

ARCEAU LE TEMPS SUSPENDU by Hermès
ARCEAU LE TEMPS SUSPENDU by Hermès
The new Arceau Le temps suspendu 38 mm in steel, aimed at ladies, was not easy to produce. Given its smaller size, it was not possible to include the retrograde date from the original 43mm version. The base used here is the Vaucher H1912 movement, to which a retrograde module has been added, allowing the display of the hours and minutes to be “suspended” and returned to on demand. But there was still the problem of the seconds hand. What can we do with it, the conceptors asked themselves. The solution: the seconds have been transformed into an operating indicator (which shows that the movement continues to function even when the hands remain fixed) that moves backwards, so that it cannot be confused with a small seconds display and makes one revolution in 24 seconds. An ingenious and poetic invention.