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Service Please! Vacheron Constantin - En Chine, on pense que «plus c’est cher et plus c’est solide»

August 2013


Notre enquête de l’an passé sur la qualité globale du service après-vente des principales marques suisses en Chine a révélé de graves dysfonctionnements. Le raz-de-marée des ventes ces cinq dernières années a littéralement submergé les ateliers de réparation et noyé l’assistance à la clientèle. Avec un temps de retard, les grands groupes horlogers réagissent en mesurant le nouvel enjeu que représente un service après-vente efficace.

Depuis 2008, Vacheron Constantin peut compter sur un maître horloger suisse pour la réparation des grandes complications en Chine. Partons à sa rencontre dans la «Twin-villa», à Shanghai, et découvrons le service après-vente chinois de la vénérable marque de Genève!

Service Please! Vacheron Constantin - En Chine, on pense que «plus c'est cher et plus c'est solide»

En Chine depuis 207 ans, «JiangSheDanDun» (Vacheron Constantin) avait anticipé le problème en 2008 déjà, dépêchant sur place un maître horloger afin d’opérer sur de grandes complications et d’élever le niveau du service après-vente. Nous l’avons rencontré, mais dans l’intérêt de la marque, il conservera l’anonymat.

Europa Star: De la grouillante Huaihai Road, on pénètre dans une arrière-cour au silence presque assourdissant. Là, une villa improbable au décor extraordinaire. Où sommes-nous?

Responsable du SAV: A «l’ambassade de Suisse de Vacheron», comme on l’appelle à l’interne, mais en réalité c’est la Twin-villa car elle ressemble à une maison jumelle. Bienvenu dans la Maison Vacheron Constantin en Chine, regroupant la première boutique de la marque, au rez-de-chaussée, et le service après-vente, au premier étage. En marge de nos concurrents situés le long de la rue, elle plonge la clientèle dans un autre univers.

ES: Lieu idyllique, certes, mais le client chinois doit-il obligatoirement se rendre ici pour faire réparer sa montre?

SAV: Il peut simplement se rendre chez le détaillant le plus proche qui enverra la pièce au service après-vente. Pour le nord de la Chine, elle arrivera au Customer care center du groupe Richemont, à Pékin, et pour le sud, ici à Shanghai. La Twin-Villa compte deux horlogers européens, tous deux formés à Genève pour la réparation de complications (chronographe, calendrier perpétuel, tourbillon). A chaque réception, nous évaluons le problème pour savoir si nous réparons la montre ici ou si nous la confions à nos horlogers chinois.

ES: Les boutiques prennent-elles en charge de petites réparations?

SAV: Non, car elles n’ont pas d’horloger. Elles peuvent remplacer un bracelet classique à barrettes, certes, mais pas un bracelet à vis qui requiert déjà des connaissances et un outillage spécifiques. La formation est un pan entier de l’Histoire de Vacheron Constantin qui continue à faire de gros efforts pour former son personnel. Mais je répète toujours à mon équipe: «Si vous ne savez pas comment réparer, ne le faites pas. Car c’est là que surgit la faute». D’autres aspects entrent en jeu, notamment l’accueil et la compréhension de la clientèle. Un service après-vente performant, c’est la clé du succès de demain, en Chine.

Service Please! Vacheron Constantin - En Chine, on pense que «plus c'est cher et plus c'est solide»
Service Please! Vacheron Constantin - En Chine, on pense que «plus c'est cher et plus c'est solide»

ES: Les acheteurs chinois aiment les complications, mais ils ne les traitent pas avec le soin adéquat. Je me souviens du patron de Sea-Gull disant: «Avec nos tourbillons, vous pouvez jouer au tennis».

SAV: (Rire) Cette négligence n’est pas propre à l’horlogerie, c’est une généralité car en Chine, on pense que plus tu dépenses et plus c’est solide, voire incassable. En réalité, c’est le contraire! Malheureusement, certaines publicités leur donnent raison comme celle de Rolex avec le golfeur tapant dans la balle. J’en ai presque «mal» pour la montre car c’est absolument inadapté, l’impact du club se transmet à la montre par le poignet, provoquant des vibrations néfastes sur le mécanisme. Pourtant il faut faire avec, on ne peut pas dire au client: «Ne portez pas votre montre pour jouer au golf!» Mais à la vente, nous prenons le temps d’expliquer au client le soin qu’implique une montre mécanique avec une maintenance régulière tous les trois à cinq ans. Pour simplifier, nous tirons un parallèle avec l’entretien d’une automobile.

ES: Sauf qu’en Europe, les vendeurs et acheteurs de montres ou de voitures possèdent eux-mêmes des montres et des voitures depuis des générations. D’expérience, ils savent de quoi ils parlent or, en Chine, vendeurs et acheteurs n’ont quasi aucune expérience. Bien souvent, les vendeurs ne peuvent même pas se payer les produits qu’ils vendent…

SAV: En effet, mais quand nous vendons une montre de grande complication, nous abordons directement l’acheteur pour régler le calendrier perpétuel ou expliquer ce qu’est un tourbillon. Puis, nous lui apprenons comment en prendre soin. Plus le client respecte sa montre, plus la montre le respectera.

ES: Vous faites presque l’éducation des clients, l’acceptent-ils facilement?

SAV: Provenant d’un horloger suisse, ils sont confiants et attentifs car ils pensent que «ce sont les personnes qui ont fait ma montre». Ils prennent le temps d’écouter les consignes de réglage d’un calendrier perpétuel sinon, ils savent pertinemment qu’ils devront retourner au magasin, le calendrier ne fonctionnera pas correctement ou la montre s’arrêtera.

ES: La plupart des marques réalisent l’enjeu que représente le service après-vente. Mais avec un sacré retard…

SAV: Car entre-temps, les volumes de vente en Chine ont explosé, sans compter les 75 millions de touristes chinois à l’étranger rien qu’en 2012, faisant presque exclusivement du shopping et revenant les bras chargés de marchandises de luxe, notamment des montres! Et bien sûr, c’est en Chine que ces consommateurs sollicitent les services après-vente. A partir du moment où la montre est en Chine, nous devons agir en Chine. Peu importe qu’elle ait été achetée à Genève ou Paris, nous devons la réparer ici car c’est très difficile de réexporter une montre.

Quant à Vacheron, il a été le pionnier des marques suisses à mettre sur pied un atelier capable de réparer les grandes complications. Ma mission, il y a cinq ans, c’était d’atteindre les standards de la marque en termes de qualités et de délais et aujourd’hui, nous offrons à nos clients un service entièrement réalisé en Chine et avec de brefs délais de réparation.

ES: Concrètement, quels sont ces délais?

SAV: Autrefois, ils étaient assez longs, mais nous les avons réduits à tous les échelons. Avant mon arrivée, la réparation d’un tourbillon en Chine prenait 4 à 6 mois car il fallait renvoyer la montre en Suisse. D’ailleurs, on ne donnait jamais de délai au client puisque la douane chinoise pouvait refuser le retour de la pièce dans le pays. Désormais, nous pouvons réparer une montre dans un délai de 2 mois. Voilà pourquoi la réparation doit être entièrement effectuée ici, en Chine.

ES: Y a-t-il quand même des cas extrêmes où la montre doit être renvoyée à Genève?

SAV: Quasiment jamais car le parc de montres est récent, il s’agit de montres modernes. Certes, l’achat de pièces anciennes de collection vendues aux enchères commence à prendre en Chine aussi. Et si la montre est endommagée ou rouillée à cause d’une infiltration d’eau et que le mouvement est affecté, on ne peut pas réparer ici mais uniquement à Genève. Ce ne sont pas des cas pour notre service après-vente.

Service Please! Vacheron Constantin - En Chine, on pense que «plus c'est cher et plus c'est solide»

ES: A l’instar du fameux rival, Vacheron Constantin peut-il réparer toutes ses montres produites, peu importe leur âge?

SAV: A Genève, le département «Vintage» de Vacheron Constantin peut tout réparer, depuis 1755 à nos jours…

ES: Trouver de bons horlogers en Chine, n’est-ce pas là le problème fondamental?

SAV: C’est même un problème global. S’il y a de nombreux horlogers sur la planète, peu sont diplômés. Même en Suisse, ça coince car il y a davantage d’horlogers partant à la retraite que de jeunes sortants des écoles… Mais Richemont a ouvert une école qui forme des horlogers de différents niveaux pour intégrer les diverses marques du groupe. Nous en aurons besoin dans le futur. Reste que les horlogers de haute volée sont rares sachant qu’il faut dix ans d’expérience pour qu’un jeune horloger fraîchement diplômé soit apte à la réparation d’une montre! ES: Revenons ici, à la Twin-Villa de Shanghai! Pour assurer une réparation rapide, possédez-vous un important stock de pièces détachées?

SAV: Richemont assume la logistique des pièces détachées, ici nous ne tenons en stock que des pièces courantes…

ES: Richemont possède un grand centre après-vente à Hong Kong, travaillez-vous en étroite collaboration avec lui?

SAV: Absolument, nous travaillons avec cette plateforme.

ES: Entre Hong Kong la «duty free» et la Chine taxant lourdement les produits de luxe, la frontière est réputée assez poreuse…

SAV: La plus grande prudence est de mise dans l’importation de pièces détachées ou de montres. Si vous transportez les pièces dans les poches et les douanes découvrent que vous les importez illégalement cela peut avoir de lourdes conséquences. Richemont comme Vacheron respectent scrupuleusement les règles jusque dans le détail, matériaux et poids compris. Et bien sûr, il faut s’acquitter de la taxe d’importation.

ES: Supposons que le marché recule et que dans 10 ans, la situation soit renversée: des services après-vente surdimensionnés par rapport au marché.

SAV: Le marché a été extrêmement bon ces cinq dernières années et nous avons surfé sur la vague. Pour Vacheron Constantin, l’ascension continue.

Source: Europa Star August - September 2013 Magazine Issue