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Tag Heuer - “Une montée en gamme finement calculée”

Interview de Stephane Linder, nouveau CEO de Tag Heuer

March 2014


Nommé CEO de TAG Heuer le 1er juin 2013, soit il y a à peine 10 mois, Stéphane Linder vient donc de débuter à ce poste, mais c’est un homme du sérail à la profonde expérience: il travaille auprès de TAG Heuer depuis 20 ans et était un des plus proches collaborateurs de Jean-Christophe Babin, passé à la tête de Bulgari. Cet ingénieur de formation connaît donc tous les rouages de la maison dont il a accompagné la montée en puissance (lire encadré ci-dessous). Si changement il y a, c’est donc certainement dans la continuité quant aux grandes options stratégiques – dont il a été un des acteurs centraux – mais dans l’adaptation aux conditions environnantes quant aux choix tactiques.

Stéphane Linder, CEO of TAG Heuer
Stéphane Linder, CEO of TAG Heuer

Europa Star: Après dix mois aux commandes du paquebot TAG Heuer, quelles sont vos réflexions les plus marquantes?

Stéphane Linder: En une courte période, les derniers trois à quatre ans, la marque a profondément changé, un palier a été franchi dans tous nos secteurs d’activité. La surface? 2’200 personnes travaillent aujourd’hui pour TAG Heuer dans le monde, y compris les back office partagés avec LVMH (1’800 exclusivement pour TAG Heur). La distribution? Aujourd’hui, outre le réseau traditionnel, c’est 170 boutiques mono-marques. Les mouvements? Ce sont des investissements considérables parmi lesquels les 52’000 chronographes produits in house cette année. Sur tous les fronts la marque a grandi, est devenue largement plus autonome. Graduellement, nous organisons une montée en gamme, très précisément calculée pour ne pas perdre pour autant nos entrées de gamme. Tout ceci a des conséquences directes sur l’image de marque, qu’il convient également de faire évoluer. Une nouvelle campagne est planifiée qui visera à accroître la légitimité purement horlogère de TAG Heuer tout en insufflant un nouveau momentum à notre image et en mettant en avant les éléments différentiateurs qui fondent notre identité.

ES: Et sur le front la distribution, l’appétit croissant des marques envers les boutiques en nom propre n’atteint-il pas ses limites?

SL: C’est une autre tâche, très importante: il nous faut améliorer le professionnalisme du retail. Disons-le tout net: les horlogers ne sont pas – encore – des détaillants. C’est un vrai métier. Nous ne voulons pas de boutiques qui soient de pures images dans lesquelles flottent des produits. Nous devons y apporter quelque chose de plus : de la culture horlogère. Mais comment y parvenir? Il y a une profonde réflexion créative à mener pour apporter au client une expérience différente, un “supplément” à l’acte d’achat. Ce que les malls font, c’est à dire animer, raconter des histoires, proposer des expériences, nous devons y parvenir dans 150 m2. Cela passe à la fois par de la vulgarisation horlogère – montrer la beauté d’un mouvement, de ses finitions, approfondir l’aspect technique – et par des services particuliers. Je pense notamment à des montres “sur-mesure”, à de la personnalisation, aux possibilités de choix qu’on peut offrir.

ES: Revenons en amont et parlons produits. Quelles sont les grandes lignes de développement que vous envisagez?

SL: TAG Heuer aujourd’hui, c’est 1/3 de chronos, 1/3 de montres Homme et 1/3 de montres Dame pour un total que nous ne divulguons pas mais qu’on peut estimer entre 500’000 et 1 million de montres par an.

TAG Heuer Carrera Calibre 7 Twin-Time Automatic – 41mm L'échelle de 24 heures disposée sur le rehaut du cadran anthracite à l'effet soleillé indique le second fuseau horaire grâce à l'aiguille centrale, remplacée par une flèche rouge aux accents sportifs. La boîte en acier de 41mm, nécessite 15 étampages pour parvenir à la perfection. Dotée d'un fond saphir, la montre dévoile les secrets du mouvement en action.
TAG Heuer Carrera Calibre 7 Twin-Time Automatic – 41mm L’échelle de 24 heures disposée sur le rehaut du cadran anthracite à l’effet soleillé indique le second fuseau horaire grâce à l’aiguille centrale, remplacée par une flèche rouge aux accents sportifs. La boîte en acier de 41mm, nécessite 15 étampages pour parvenir à la perfection. Dotée d’un fond saphir, la montre dévoile les secrets du mouvement en action.

ES: C’est large comme fourchette!

SL: J’en conviens, mais c’est ainsi (rires).

Au niveau produits, deux fronts sont ouverts: d’une part, nous voulons faire le meilleur chronographe du marché de volume, disons entre 5’000.- et 10’000.- CHF, mais nous voulons aussi rééquilibrer notre offre en direction des montres “simples”. Dans ce secteur, nous voulons proposer des montres très raffinées, très “classe” mais dont le mouvement ait quelque chose de différent des autres, quelque chose de distinctif. Or vous le savez, c’est souvent beaucoup plus difficile de s’exprimer dans la simplicité que dans la complexité. Le challenge est donc de créer ce mouvement manufacture de base, aussi intéressant dessus que dessous et conçu pour recevoir des mécanismes additionnels.

Notre grande force, aujourd’hui, est que nos investissements industriels nous ont permis de construire un outil de production d’une extrême flexibilité. En 3 à 4 jours d’adaptation, une même machine peut produire les composants d’un mouvement ou d’un autre. Jouons donc sur cette souplesse industrielle pour apporter à nos mouvements des touches d’innovation par rapport aux équivalents qu’on trouve sur le marché. A l’horizon 2016 – 2017, nous pensons donc intégrer dans des produits de série certaines des extraordinaires – voire révolutionnaires - innovations de notre service de Recherche et Développement piloté par Guy Semon. Des produits qui ne ressemblent à rien de comparable.

ES: Il s’agit en quelque sorte de faire “redescendre” l’innovation dans des produits plus abordables…

SL: Parfaitement, même si par ailleurs nous allons poursuivre dans notre voie – je devrais dire nos voies de recherche si différentes comme le Girder, le Pendulum, le V4, les 100ème et 1000ème de seconde, la chaîne duale, les combinatoires… le territoire est vaste. Il nous permet aussi de sans cesse réaffirmer notre motto: “technique ET esthétique”. Mais pas la technique pour elle-même, nous ne créons jamais rien de gratuit, nous savons toujours pourquoi nous faisons telle ou telle chose. A lire notre article à propos de la V4 Tourbillon.

DBS 8-DAY, REVOLVING MOON by De Bethune

ES: A propos d’innovation, que pensez-vous de l’arrivée des smartwatches, vous qui en avez créé une pour les équipiers d’Oracle, vainqueurs 2013 de l’Americas Cup?

SL: C’était un instrument destiné à un usage extrêmement spécifique, et on ne peut pas en tirer de conclusions générales. Sur le phénomène de masse, je reste très partagé. Il est clair que le niveau des produits disponibles aujourd’hui ne nous fait aucune ombre, peut-être un peu chez les jeunes. Mais ces smartwatches restent encore entachées de défauts majeurs, parmi lesquels la question de l’usage, des contraintes de chargement et, plus important encore, la question de la rapidité de l’obsolescence technologique. Le luxe, dans lequel nous oeuvrons, est antagoniste avec l’idée d’obsolescence car nous vendons un statut, un rêve. Quand la technologie se sera stabilisée, alors se posera la question et peut-être faudra-t-il imaginer une smartwatch de luxe. Ceci dit, c’est un phénomène qu’il ne faut ni négliger ni mépriser.

 Chine: refaire le retard

A propos de la Chine, où TAG Heuer accuse un certain retard, Stéphane Linder en fait une de ses priorités. "C’est vrai que TAG Heuer est encore faible en Chine. Nous avons commencé tard à y investir, en 2008, 2009. Nous avons encore du chemin à y faire, en termes de notoriété. Si on retranchait les ventes chinoises des statistiques, TAG Heuer serait numéro 2 ou 3 de l’horlogerie suisse, c’est dire! Nous avons aussi certainement pâti du goût chinois qui est très classique, un peu “ancien”, alors que nous sommes plus sportifs, plus contemporains. Les Chinois, d’une façon générale, ne goûtent guère les chronos. Mais les goûts évoluent vite et la culture horlogère se diffuse. Le goût des jeunes générations se rapproche de notre style. Réussir notre mouvement de base, proposer une offre plus classique fait aussi partie de notre stratégie chinoise."

 La riche expérience de Stéphane Linder chez TAG Heuer

Suisse, né en 1968, marié et père de quatre enfants, Stéphane Linder est ingénieur diplômé de l’école polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL). Engagé par TAG Heuer en 1993, il joue rapidement un rôle prépondérant dans l’ingénierie, la professionnalisation de la R&D et la réintégration progressive du développement produit au sein de l’entreprise. En 1997, il est nommé Responsable Trade Marketing et Produit, en charge de la stratégie globale produit. Dans ce cadre, il mène à bien la diversification vers la lunetterie. Devenu membre du comité exécutif en 2003, Stéphane Linder occupe le poste de Directeur R&D et Produit, à l’origine de succès commerciaux majeurs et de la création de la division haute horlogerie.

En 2007 s’ajoute à son périmètre le marketing ; il devient Vice-Président Marketing et Design Produit. Il joue un rôle fondamental dans le repositionnement et la montée en gamme de la marque à travers le lancement de nouvelles campagnes publicitaires, la redéfinition de la stratégie Internet et le renforcement de la part croissante du retail dans l’entreprise. En 2010, Stéphane Linder prend le poste de Vice-Président des Ventes Amérique du Nord pour TAG Heuer. Il contribue activement à la restructuration du réseau de distribution des Etats-Unis et du Canada, et accroît significativement la présence de TAG Heuer chez les multimarques, ainsi que la rentabilité par point de vente.

Source: Europa Star April - May 2014 Magazine Issue