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BabelWorld

June 2013


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 Une Opus XIII bourrée d’aiguilles

Un exemple dans lequel le dialogue, précisément, semble avoir un peu manqué est l’extraordinaire, par ailleurs, Opus XIII d’Harry Winston. Extraordinaire, cette montre l’est du point de vue de son affichage à nul autre pareil. Conçu par l’horloger indépendant Ludovic Ballouard, qui poursuit ici ses recherches personnelles (on se souvient notamment de l’étonnante Upside Down avec ses index à l’envers, sauf celui indiquant l’heure exacte), l’Opus XIII a pour caractéristique principale de posséder 59 aiguilles des minutes et 11 aiguilles des heures, ce qui en fait certainement la montre la plus chargée d’aiguilles de toute l’histoire de l’horlogerie.

OPUS XIII by Harry Winston
OPUS XIII by Harry Winston

Sans rentrer dans tous les détails techniques de cette pièce aux 660 composants et 242 rubis, disons simplement que les 59 aiguilles des minutes sont disposées tout autour du cercle de la montre, chaque 5ème aiguille étant teinte en rouge de façon à créer une “minuterie” d’aiguilles entraînée par une bague extérieure. A la minute dite, l’aiguille en question se relève d’un angle de 41°. Les aiguilles des minutes se soulèvent ainsi l’une après l’autre et restent dans cette position jusqu’au passage de l’heure. A cet instant, un extraordinaire ballet prend place: une seconde bague au contour crénelé entre en jeu qui rabat simultanément les 59 aiguilles. Ce complexe dispositif, activé par la roue de centre qui, via une bascule à deux palettes, libère puis bloque alternativement la bague des minutes, est alimenté en énergie par un barillet indépendant. L’autre barillet alimente l’échappement traditionnel. Les heures quant à elles, sont indiquées par de fins triangles qui, grâce à une rotation à 180° conduite elle aussi par une bague extérieure fonctionnant par paliers de 60 minutes, apparaissent et disparaissent sous un dôme central en cristal facetté et fumé. C’est là que le bât blesse et que l’on pense à un dialogue sans doute un peu avorté entre le créateur horloger et les designers de la maison. Car, malheureusement, cette montre d’exception qui a demandé à l’horloger une maîtrise absolue de la dimension des pièces, de leur encombrement et de leur jeu mutuel (une des difficultés majeures étant de parvenir à chasser autant de rubis côte à côte sans déformation de la matière) reste illisible! Non pas tant au niveau des minutes qu’à celui des heures. La faute n’en revient pas à l’horloger mais plus certainement aux choix du design qui a privilégié des teintes si sombres qu’elles étouffent toute clarté de vision. Dommage, car la lisibilité est et reste, au-delà des exploits, une des valeurs cardinales de la haute horlogerie.

PREMIER FEATHERS by Harry Winston
PREMIER FEATHERS by Harry Winston

Ce que démontre par ailleurs Harry Winston avec une toute autre montre, certes purement décorative mais merveilleusement réussie, qu’est la Premier Feathers, fruit là aussi d’une collaboration, en l’occurrence avec Nelly Saunier, “maître d’art” en plumasserie, qui réalise ici une sublime marqueterie de plumes bleues, azurées, turquoise ou saphir, simplement encadrée par un boîtier d’or gris serti de 66 diamants. Un dialogue ici parfaitement tenu.

 Dialogues entre cultures

Mais le dialogue ne prend pas place qu’entre horloger et designer. Il pèse aussi de tout son poids entre celui ou ceux qui investissent et celui ou ceux qui conduisent une marque. Le jour de l’ouverture de BaselWorld, une annonce s’est rapidement propagée dans les couloirs: “Corum a été racheté par des Chinois!” Plus précisément, par China Haidian, qui possède les marques Ebhor et Rossini en Chine.

TI-BRIDGE AUTOMATIC DUAL WINDER by Corum
TI-BRIDGE AUTOMATIC DUAL WINDER by Corum

Everybody knew that Corum was up for sale, since the Séverin Wunderman foundation never intended to keep it. But the fact that it was the Chinese who acquired the brand surprised many in the Swiss watchmaking community, since all such “transplants” have been rejected so far. Que Corum fût en vente, tout le monde le savait car la Fondation Séverin Wunderman n’avait pas vocation à la conserver. Mais le fait que ce soit des Chinois qui ramassent la mise en a effrayé plus d’un dans la communauté horlogère helvétique où l’on soulignait que jusqu’à présent, aucune de ces “greffes” n’avait jamais pris. Corum sera-t-il le contre-exemple? Le rachat par le même groupe China Haidian, il y a près de deux ans, de la marque Eterna et de la licence Porsche Design, survenue après la tentative avortée de lancer une marque helvétique sous le nom de CodeX, ne plaide a priori pas dans ce sens. Eterna n’était tout simplement pas à BaselWorld et son directeur, Patrick Kury, vient d’être remercié.

“ les règles du jeu telles qu’elles ont été établies sont compatibles et partagées par les deux cultures."

The Corum stand
The Corum stand
Antonio Calce
Antonio Calce
Kwok Lung Hon
Kwok Lung Hon

Mais c’est sans compter sur l’homme-clé de Corum, son CEO (et actionnaire individuel minoritaire) Antonio Calce qui, en quelques années, a effectué avec succès un considérable travail de repositionnement de la marque. Une clarification de l’offre qui a directement contribué à ce que la vente (86 millions de CHF) puisse se réaliser. Nous assurant que “les relations avec China Haidian, et tout particulièrement celles de confiance directe entretenues avec l’actionnaire majoritaire du groupe, Kwok Lung Hon, sont plus qu’excellentes”, Antonio Calce, qui reste à la tête de la marque (et va probablement être également nommé à celle d’Eterna) se veut parfaitement rassurant. Interrogé sur les grandes différences culturelles entre Suisse et Chine, il met en avant le fait que “les règles du jeu telles qu’elles ont été établies sont compatibles et partagées par les deux cultures.” A China Haidian, Corum offre une porte d’entrée dans le domaine du haut de gamme helvétique, à partir duquel le groupe entend bien se déployer. A Corum, China Haidian, fort bien en vue auprès des autorités chinoises, apporte un potentiel de développement considérable en Chine, où la marque jouit déjà d’une flatteuse réputation. Transaction win-win, donc? L’avenir le dira. Tout comme le consommateur chinois s’est considérablement sophistiqué au cours de ces dernières années de folie du luxe, on peut certainement en attendre de même d’un entrepreneur aussi avisé que M. Hon. Et les Suisses auraient quelque mauvaise foi à accuser les Chinois de s’emparer d’un des joyaux de leur couronne: Richemont n’est-elle pas en mains sud-africaines? LVMH et Kering (ex-PPR) en mains françaises?

 Dialogue entre père et fils

Ce n’est pas un Chinois mais Georges-Henri Meylan, un Suisse “pur sucre”, un Combier (nom donné aux habitants de la célèbre Vallée de Joux), qui a repris H. Moser & Cie. Sans doute que la fibre horlogère helvétique était, dans ce cas précis, tout à fait indispensable pour parvenir à redresser cette marque très subtile, toute faite d’understatment. Ancien CEO d’Audemars Piguet, un des acmés de la haute horlogerie, il en a confié les rênes opérationnelles à son propre fils, Edouard Meylan. Celui-ci s’est déjà frotté au luxe en participant aux premières loges à l’aventure pionnière des téléphones de haute horlogerie Celsius. Mais Moser boxe dans une toute autre catégorie, où les concurrents sont installés de très longue date, qu’ils s’appellent Patek Philippe ou Vacheron Constantin, même si quantitativement, Moser est encore largement distancée (1023 pièces pour 2013, 1800 attendues en 2014). “Au début, je me suis dit qu’il fallait que je prenne mon temps pour ne pas risquer de casser quoi que ce soit”, nous explique le jeune dirigeant. “Il me fallait bien saisir l’essence même de la marque, identifier ses forces et ses faiblesses, distinguer ses piliers.” Mais une des particularités essentielles de H. Moser & Cie est aussi d’être une micro-manufacture intégralement verticalisée, produisant aujourd’hui 6 différents et superbes mouvements manufacture, et maîtrisant jusqu’à ses propres spiraux (via Precision Engineering, qui fait partie de la même corbeile). Il fallait donc aussi examiner les processus industriels. “Nous avons fait un travail de fond, à tous les niveaux, en amont comme en aval. Un exemple: nous sommes parvenus, en examinant les process, à réduire le temps d’assemblage de notre Quantième Perpétuel de 50%! Nous avons diminué le nombre de références de 41 à 28, y compris les nouveautés, en travaillant sur la consistance de l’offre et sa cohérence. Et dans le même temps, nous avons ouvert 30 nouveaux points de vente de prestige,” claironne Edouard Meylan.

Sa jeunesse, qui contraste avec le classicisme de l’offre de Moser, semble en cette affaire être un atout. Non seulement apporte-t-elle une touche de fraîcheur bienvenue (toutes proportions gardées, on pense en passant au travail de rafraîchissement accompli par Jérôme Lambert à son arrivée chez Jaeger-LeCoultre) mais elle fait aussi souffler un esprit de start-up bienvenu dans cette équipe de 50 personnes, dont les piliers principaux ont été confirmés à leur place. “Nous sommes à présent très actifs sur les marchés, nous avons revu toute notre communication, avons mis sur pied une nouvelle équipe marketing pour donner un nouveau souffle à la marque et n’avons pas peur de prendre des risques. Nous sommes des entrepreneurs, comme le sont la plupart de nos partenaires commerciaux, issus eux aussi de familles entrepreneuriales.” Symbole de cette “fraîcheur” retrouvée: une pomme verte offerte à chaque visiteur. Pomme en mains, passons donc au suivant.

NOMAD PLATINUM by H. Moser & Cie
NOMAD PLATINUM by H. Moser & Cie
With this creation, the watchmakers at H. Moser & Cie. opted for simplicity: simplicity in terms of aesthetics, and also the mechanism, enabling adjustment of the second time zone hour. Thanks to the patented Double Pull Crown system, the adjustment may be made using the crown, without any risk of inadvertently stopping the watch or altering the primary time. Out of the same concern for simplicity, there is an AM-PM indicator at 12 o’clock. Linked to the wearer’s primary time zone, this indicator changes from white to black in a fraction of a second, at precisely 12 noon, and then from black to white at midnight, thanks to a spring that stores up energy for approximately eight hours, without affecting the rate at which the watch runs. This makes it easy to keep in touch with your home time, which may be read in the conventional way. The coloured hand may also be hidden under the hour hand if the watch owner does not need the dual time zone function.