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«Bientôt une montre à tourbillon à 1500 francs*» *10 000 yuans

July 2010



Europa Star s’est invité chez le plus grand horloger chinois en termes de volume puisqu’avec ses marques Ebohr et Rossini, il se taille 23 % du marché domestique! Axé sur le bas de gamme, le groupe part désormais à la conquête du moyen de gamme avec de nouvelles collections et, surtout, Codex, une nouvelle marque Swiss made! Tao Li, le directeur général, nous dévoile sa stratégie…

L’industrie chinoise entre dans une nouvelle ère, celle de l’émancipation. Tous azimuts, elle investit dans la recherche et développement, apprend enfin à créer et à communiquer. La leçon de rattrapage (qui a dit de copiage?) touche à sa fin. On le constate déjà dans l’industrie l’automobile où, sur la centaine de marques chinoises recensées, il n’en restera bientôt qu’une poignée dont certaines deviendront de futurs géants. Même évolution dans le secteur horloger avec, en particulier, trois groupes: Sea-Gull (fondé en 1955, siège à Tianjin), FIYTA (1987, Shenzhen) et Ebohr (1991, Shenzhen). Leur objectif? Se tailler un part de gâteau dans le segment de bas et moyen de gamme, en particulier sur les marchés asiatiques. Tao Li, directeur général d’Ebohr, nous a ouvert en grand les portes de sa manufacture de Shenzhen et exposé la stratégie originale du groupe, faite de nouvelles marques, de tourbillons et de Swiss made…

«Bientôt une montre à tourbillon à 1500 francs*» *10 000 yuans Tao Li, General Manager of Ebohr, with two pre-series of Swiss Made Codex watches. (Photo Jean-Luc Adam)

Europa Star: Qui se cache derrière la marque Ebohr? Tao Li: La China Haidian Holdings, cotée en bourse de Hong Kong et propriétaire des marques horlogères Ebohr et Rossini.

ES: Et d’autres industries qui n’ont rien à voir avec l’activité centrale… TL: Oui, comme c’est encore souvent le cas dans les groupes chinois. Mais nous allons vendre nos usines de production de fils de cuivre pour nous concentrer sur un seul domaine, l’horlogerie.

ES:Vous développez des marques comme Rossini et Kana, expliquez-nous! TL:En fait, la marque Rossini existe depuis 25 ans et est numéro 1 des ventes en Chine, avec plus de 12 % de part de marché. C’est notre bas de gamme, fabriqué à Zhuhai, au sud de Hong Kong. En revanche, Kana est une nouvelle marque dédiée aux femmes et développée en coopération avec Swarovski. Ces modèles sont sertis de gemmes naturels – rubis, saphir, topaze, spinelle noir, améthyste et grenat.

«Bientôt une montre à tourbillon à 1500 francs*» *10 000 yuans Assembly line in a filtered dust-free atmosphere, Suisse CNC equipment and analysis of precious metals. (Photo D.R.) «Bientôt une montre à tourbillon à 1500 francs*» *10 000 yuans Attaching the sapphire crystals to a watch in the Gold collection, setting topaz on a model from the Kana brand and Tao Li, General Manager, with members of the management team. (Photo D.R.)

ES:Et celle à votre poignet? TL:Vous avez remarqué… Il est vrai qu’elle est très massive, rien que le boîtier pèse 150 grammes! Il s’agit de Codex, une nouvelle marque suisse de l’entreprise Swiss Chronometrics, de Bienne, dont nous sommes les actionnaires. J’ai ici deux préséries car le lancement se fera en mai prochain.

ES:Un scoop, merci! Sera-t-elle entièrement fabriquée en Suisse? Quel segment vise Codex? TL:Excepté les emballages et la documentation venus de Chine, tout est Swiss made. Codex se positionne au niveau de Longines et vise le marché global, mais prioritairement la Chine.

ES:Elle est très grosse alors que la tendance revient à la montre extraplate… TL:… oui, nous l’avons constaté lors du dernier BaselWorld. Nous explorerons également cette voie. Toutefois, Codex se veut une marque très masculine comme le suggère le slogan «Codex, Men addiction». Et à l’intérieur, un solide mouvement ETA.

ES:Nicolas Hayek, président du Swatch Group et par extension de la filiale ETA, veut justement cesser de fournir des mouvements à toutes ces petites marques horlogères qui pullulent en Suisse. Cela saboterait Codex… TL:(rires) Ce n’est pas la première fois qu’il dit ça. Et puis, cette menace ne nous fait pas peur, il existe d’autres fournisseurs suisses.

ES:Revenons à Ebohr! Combien de montres a-t-elle vendu en 2009 et à quel prix moyen? TL:Environ 600 000 pièces à une moyenne de 1000 yuans (ndlr. 150 francs). Notre objectif à court terme est d’augmenter le prix de vente moyen à 2000 yuans. Pour cela, en plus des séries Gold, Classical, Automatic, Tungsten, Slim, etc, nous allons créer la gamme Ebohr Complication, avec un logo spécifique et un design réalisé en Suisse.

ES:Avec quels types de mouvements? TL:Automatiques et à tourbillon.

ES:J’ai de la peine à croire qu’Ebohr se mette à produire des tourbillons… TL:Nous aurons trois fournisseurs, Sea-Gull pour le twin-tourbillon, Beijing pour le tourbillon vertical et Shanghai pour le flying-toubillon. Notez qu’Ebohr retravaillera le style de chaque calibre!

«Bientôt une montre à tourbillon à 1500 francs*» *10 000 yuans Chronograph from the Jumbo collection, 40-mm round steel case, scratch-resistant thanks to a nano-technological treatment, crystal glass, Japanese quartz movement, leather strap, water-resistant to 30 metres. (Photo D. R.)
Watch from the Gold collection, 39-mm case and crown in 18K gold, bezel and dial set with natural diamonds, sapphire crystal and screw-in case back, alligator strap with gold fold-over clasp, Swiss ETA automatic calibre 2824, water-resistant to 30 m. (Photo D. R.)
Rectangular watch from the Automatic collection, Japanese automatic movement with a frequency of 21,000 vibrations per hour, sapphire crystal, screw-in case back, leather strap, water-resistant to 50 metres. (Photo D. R.)

ES:Sympa, mais ça coûtera une fortune! Votre clientèle pourra-t-elle encore se les offrir? TL:(rires) Elles resteront accessibles puisque nous comptons les vendre à 10 % du prix des montres suisses comparables. Bientôt, nous sortirons une montre basique à tourbillon à 10 000 yuans (ndlr. 1500 francs)! Il y a un vrai marché pour des montres à complication «low cost» et, ici, Ebohr vise le marché mondial.

ES:Comment vos fournisseurs parviennent-ils à baisser à tel point leur prix? TL:Les trois fournisseurs de mouvements précités ont de réelles compétences dans la fabrication de complications, mais ne parviennent pas à augmenter leur production uniquement à travers leurs propres marques horlogères. Pourtant, ils ont la capacité de produire bien davantage et donc de réduire le prix de revient. Nous allons les aider…

ES:Pourquoi Ebohr, comme les autres marques chinoises, ne fait que suivre la tendance des horlogers helvétiques? TL:Les marques suisses créent la tendance horlogère dans le monde. C’est un fait.

«Bientôt une montre à tourbillon à 1500 francs*» *10 000 yuans Rectangular watch from the Milkway series, transparent case decorated with a Swarovski diamond ‘heart & arrow’, crocodile strap, Swiss quartz movement, water-resistant to 30 metres. (Photo D. R.)
Watch from the Automatic collection, 40.5-mm stainless steel case, bezel and crown in yellow gold, dial set with three natural diamonds, 24-hour display, stainless steel/gold bracelet with fold-over clasp, Japanese automatic movement. (Photo D. R.)

ES:Vous êtes à Shenzhen, nouvelle capitale mondiale de l’électronique, pourquoi ne pas développer des mouvements high-tech, genre radio-piloté, photoélectrique, électrodynamique voire thermoélectrique? TL:La province du Guangdong est aussi une zone horlogère historique. Mais je comprends votre raisonnement. Dans le domaine des mouvements électroniques sophistiqués, les marques japonaises ont pris une telle avance qu’on ne parviendrait jamais à atteindre leur niveau et, de toute façon, les Chinois veulent des montres mécaniques. En un an, la proportion de nos modèles automatiques est passée de 20 à 40 %! En achetant une montre, les gens ne cherchent pas à avoir l’heure la plus exacte possible. Il n’y a d’ailleurs aucune course à la précision absolue dans l’horlogerie, sinon les montres radio-pilotées par horloge atomique se seraient imposées depuis longtemps.

ES:«Il serait irrationnel d’acheter une montre pour lire l’heure!», déclara Jean-Claude Biver, patron de Hublot, à propos du modèle All Black où tout est noir, le cadran, le boîtier, le bracelet et même les aiguilles! TL:Il a raison et la preuve: logiquement les montres auraient dû disparaître à notre époque où l’heure est partout, sur son portable, dans sa voiture, dans la rue, à la maison et presque sur tous les appareils électroniques... Cela prouve bien la relation très particulière que les gens ont avec ce bijou. Qui doit être mécanique pour être plus «vivant», plus «humain».

ES:OK, vous m’avez convaincu sur le fond, mais pas la forme. Pourquoi ces montres faites par des Chinois pour des Chinois n’ont rien de Chinois dans l’aspect. Pourquoi ne pas puiser l’inspiration dans la culture chinoise, si riche, si raffinée, si typique? TL:Les temps difficiles de la Révolution culturelle ont détruit notre tradition et notre culture. Personne, en Chine, ne veut revenir dans le passé. Actuellement, grâce à la politique d’ouverture, le pays vit ses années folles avec une mutation rapide du mode de vie. Tout est nouveau, tout est frais… Les gens se permettent enfin d’exister, parfois dans l’excès.

«Bientôt une montre à tourbillon à 1500 francs*» *10 000 yuans Kana, natural topaz set in the stainless steel case with ruby-set crown, sapphire crystal, leather strap, Swiss ETA quartz movement, screw-in case back, water-resistant to 20 metres. (Photo D. R.)
Kana, natural topaz set in the stainless steel case with sapphire-set crown, sapphire crystal, leather strap, Swiss ETA quartz movement, screw-in case back, water-resistant to 20 metres. (Photo D. R.)
Kana, natural rubies set in the stainless steel case with ruby-set crown, sapphire crystal, leather strap, Swiss ETA quartz movement, screw-in case back, water-resistant to 20 metres. (Photo D. R.)
Kana, natural topaz on the bezel and clasp, ruby on the crown, stainless steel case, sapphire crystal, leather strap, Swiss ETA quartz movement, screw-in case back, water-resistant to 30 metres. (Photo D. R.)

ES:En Occident, on voit souvent la Chine comme un dragon dont le réveil fait peur. Or, la Chine d’aujourd’hui a visiblement vendu son âme à la culture occidentale, notamment américaine. Les Coréens ou Japonais, eux, n’auraient jamais accepté une telle invasion culturelle! TL:Ce que vous dites est tout à fait vrai. Encore une fois, de nombreuses générations de Chinois ont été sacrifiées. La nouvelle génération, mieux éduquée et plus instruite, veut enfin jouir de la vie et être à la mode. La culture occidentale leur apporte tout cela.

ES:Contrairement à FIYTA ou Sea-Gull, Ebohr ne possède pas de réseau de vente tentaculaire dans le pays. Comment écoulez-vous vos montres? TL:Actuellement, nous n’avons que trois boutiques Ebohr en Chine. Mais nous en auront quarante d’ici la fin 2010. Nous vendons principalement au travers de magasins multimarque. Toutefois, nous croyons de plus en plus à la vente directe en ligne de type B2C (business to customer). Nous développons une plateforme qui permettra non seulement de présenter les produits et de répondre à la demande des clients, mais également de permettre le DIY «Design It Yourself». Le client pourra ainsi configurer sa future montre en choisissant à son goût les différentes pièces qui la composent. Grâce à notre flexibilité de production, nous pourrons la réaliser en deux ou trois jours. Enfin, nous utilisons notre e-shop sur Taobao (ndlr. le Ebay chinois) pour écouler avec une belle remise nos modèles de fin de série