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Les stratégies industrielles de Maurice Lacroix

October 2013


Il y a un peu moins de dix ans, en 2005, Maurice Lacroix prenait une décision stratégique de verticalisation de sa production avec pour objectif avoué de devenir une manufacture totalement intégrée. Une option renforcée par l’annonce du Swatch Group de sa volonté de baisser progressivement le niveau de ses livraisons de mouvements. Face à cette “menace”, force était de devoir réagir et c’est dans cette optique d’autonomie progressive qu’avait été décidé ce renforcement de la part manufacturière de la maison.

Les stratégies industrielles de Maurice Lacroix

Mais une des conséquences de ce choix stratégique a été la hausse du prix moyen des montres Maurice Lacroix qui s’en est suivie, passant progressivement de 2’700.- CHF à environ 5’000.- CHF. Pour accompagner cette stratégie, de gros investissements ont été alors consentis dans la communication sous toutes ses formes et notamment par le biais de ce qui devait être une pièce véritablement révolutionnaire, la Mémoire1. Hélas, très complexe à mettre au point, la pièce annoncée en fanfare et qui devait être le porte-drapeau de la nouvelle stratégie, n’a jamais vu le jour. En 2008, crise aidant, Maurice Lacroix procéda alors à une sérieuse remise en question de ses propres choix stratégiques. Le CEO Philippe Merk quitta l’entreprise et rejoignit Audemars Piguet. Martin Bachmann prit les commandes au début 2009. Dès cette date, Maurice Lacroix décida de se focaliser avant tout sur le segment allant de 1’000.- CHF à 5’000.- CHF, tout en proposant régulièrement des talking pieces, sous forme de pièces très pertinentes et très innovantes situées entre 2’000.- CHF et 12’000.-. On pense à la Roue Carrée ou encore, cette année, à l’étonnante Seconde Mystérieuse. Des pièces “ambassadrices”, qui ont pour grand avantage d’exprimer parfaitement le style d’horlogerie que Maurice Lacroix entend promouvoir : un style remarquable, architecturé, très reconnaissable, partageant ses références entre horlogerie classique et modernisme graphique.

Left: The movement of the new Masterpiece Seconde Mystérieuse
Left: The movement of the new Masterpiece Seconde Mystérieuse

En 2011, DKSH, un groupe leader dans les “services de développement de marché”, qui emploie plus de 22’500 collaborateurs dans 610 filiales (dont 590 en Asie) implantées dans 35 pays, classé parmi les 20 premières sociétés suisses en termes de chiffre d’affaires et d’effectifs (8.8 milliards de CHF de chiffre d’affaires en 2012) prend la majorité dans la société Maurice Lacroix. Martin Bachmann se retire et Marc Gläser, qui avait occupé divers postes chez Maurice Lacroix quelques années auparavant, prend la nouvelle fonction de Directeur général.

“Un énorme potentiel”

Aux yeux de Marc Gläser, “il existe de très grandes opportunités dans le segment de 1’000.- CHF à 5’000.-. Le potentiel est énorme, d’autant plus qu’il a été un peu délaissé par bon nombre d’acteurs suisses. Nous avons la ferme intention d’y occuper une position de leader”, explique-t-il à Europa Star.

“Notre force est d’avoir un positionnement assez unique en son genre en termes d’offre. Mais nous n’avons pas encore atteint la notoriété qui devrait logiquement être la nôtre. Nous nous y employons et, désormais, la stabilité de notre stratégie est établie pour les 5 à 10 ans à venir. De grandes perspectives s’ouvrent à présent devant nous”, précise-t-il sans aucune forfanterie mais avec de solides atouts en mains. Ces atouts tiennent non seulement à la puissance commerciale de DKSH en termes de distribution, tout spécialement en Asie (en tout Maurice Lacroix produit 90’000 montres par an et dispose de 3’000 points de vente) et à la clarté stylistique de l’offre mais aussi à sa force manufacturière qui, si elle n’est pas intégralement verticalisée, est très intelligemment répartie.

Masterpiece SQUELETTE by Maurice Lacroix
Masterpiece SQUELETTE by Maurice Lacroix

Le pôle horloger organisé autour de Maurice Lacroix peut ainsi compter sur trois entreprises manufacturières distinctes et parfaitement complémentaires, toutes trois installées à Saignelégier, dans le Jura suisse: Maurice Lacroix SA développe mouvements, montres complètes et exécute assemblage et emboîtage; la Manufacture des Franches Montagnes (MFM), produit l’essentiel des composants des mouvements manufacture de Maurice Lacroix et Queloz est une manufacture de boîtes de haut de gamme. Autant MFM que Queloz produisent pour Maurice Lacroix mais aussi pour des marques tiers (et non des moindres).

Une manufacture d’assemblage

Installée dans un bâtiment entièrement rénové, la maison-mère Maurice Lacroix est organisée autour d’une activité centrale: l’assemblage de mouvements et de montres. Ici, pas de “copeaux” comme on dit en horlogerie. Tout ce qui est usinage est sous-traité à une série de fournisseurs établis dans le Jura, à l’exception des mouvements manufacture dont les composants proviennent exclusivement de la maison-sœur MFM. Ces mouvements 100% manufacture sont aujourd’hui au nombre de douze, et comptent pour environ 3’000 mouvements par année, sur le total des 90’000 mouvements (dont la moitié sont quartz). Ces mouvements manufacture sont intégralement conçus et développés sur place dans un centre de R&D qui emploie une dizaine d’horlogers, de constructeurs et d’analystes. Plans de détail, tolérances, plans techniques, plans d’usinage, développement de l’outillage, gammes opératoires, process, fiches de montage sont élaborés dans cette unité qui a aussi pour charge l’évaluation des mouvements provenant de l’extérieur (uniquement du Swiss Made et essentiellement de l’ ETA ou du Sellita, en ce qui concerne les mouvements mécaniques).

Réunis sous l’appellation “Masterpiece”, ces douze mouvements manufacture comportent, entre autres, le mouvement chronographe intégré ML 106 et sa version squelette ML 106-7, le calendrier rétrograde ML 150, voire le double rétrograde ML 151, les mouvements à “roue carrée” ML 153 et ML 156, les lunes rétrogrades ML 152 et ML 192 ou encore le tout récent mouvement ML 215 à seconde mystérieuse, présenté à BaselWorld cette année et dont les 250 exemplaires se sont immédiatement vendus.

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Le montage de ces mouvements manufacture, ainsi que les complications manufacture (telle la Pontos excentrique) et les complications provenant de fournisseurs externes (comme Dubois-Dépraz) est intégralement effectué dans les ateliers de Saignelégier qui emploient une centaine de collaborateurs qualifiés. Selon leur degré de complexité, ces mouvements sont assemblés sur des chaînes semi-automatisées ou intégralement à la main. Ici, tout l’effort est donc porté sur l’optimisation des process de montage et d’emboîtage, ainsi que sur les nombreux contrôles effectués à toutes les étapes (en fin de parcours, toutes les montres transitent par un bureau de contrôle et y subissent des tests de 5 jours pour les montres automatiques et de 3 jours pour les montres quartz).

Les stratégies industrielles de Maurice Lacroix

Le cœur battant de cette usine de montage est le stock central, 25 tonnes de composants répartis dans des tourelles hautes de deux étages. La gestion de ces stocks intégralement informatisée est particulièrement élaborée et permet à Maurice Lacroix de réagir très rapidement en fonction des remontées des marchés en adaptant “en temps réel” la production à la demande. Chaque montre portant un numéro de série unique, la traçabilité de chaque produit est totale.

MFM, le pôle composants

Située non loin de là, la Manufacture des Franches Montagnes (MFM) a été créée en 2006 et a produit ses premiers composants en 2007. Au départ, MFM travaillait exclusivement pour Maurice Lacroix. Aujourd’hui, les ¾ de sa production sont destinés à des clients extérieurs (pour la plupart des marques prestigieuses). La spécialité de MFM est le décolletage et le fraisage, voire le “décotaillage” qui permet de produire des pignons dans des tolérances de quelques microns grâce à une seule machine qui effectue le décolletage et taille les dentures tout à la fois. Un gain important en temps et en coûts de production.

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L’organisation de MFM est particulièrement intéressante. Travaillant par projet spécifique, chaque opérateur est responsable de son projet de A à Z. Les mécaniciens reçoivent le dessin d’une pièce, vont s’installer derrière leur ordinateur, font des simulations, transfèrent ensuite le programme créé sur les machines de production, testent les outils avant la mise en train. Un parcours qui prend environ une semaine, par exemple dans le cas des platines. Avant de lancer proprement dit la production, la 1ère platine est contrôlée dans tous ses détails puis validée.

Pour Maurice Lacroix, MFM fabrique tous les composants des mouvements à l’exception de l’échappement. L’atelier est encore dépendant de tiers pour les pièces mobiles mais entend prochainement se verticaliser à 100% en acquérant des capacités de roulage des pièces. C’est aussi ici que s’effectuent les opérations de finition : ébavurage, limage des attaches, anglage, polissage.

Queloz, le pôle boîtes

Egalement établi à Saignelégier, Queloz est un fabricant de boîtes de très haut de gamme, spécialisé dans les boîtiers complexes, capable de traiter des séries allant jusqu’à 1000 pièces, pour les boîtiers les plus simples, ou 300 pièces pour les boîtiers or complexes, voire à l’unité. Ici, les matières traitées sont l’acier, l’or, le palladium, le platine, le tantale, le titane, les alliages de titane jusqu’au Grade 5. A titre d’exemples de la virtuosité manufacturière de Queloz, on peut citer la réalisation du boîtier très complexe de l’Opus XI d’Harry Winston (dont la carrure aux formes asymétriques est réalisée en un seul bloc), ou encore les 180 composants en titane poli et microbillé de la X Watch de De Witt.

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Queloz maîtrise l’intégralité des opérations, depuis la construction, les plans techniques, la modélisation. Ou, dans le domaine de la production, Queloz fait ses propres lingots d’or, l’intégralité de ses outils, dispose de puissantes presses, de machines de tournage, d’un impressionnant parc de machines 5 axes, d’ateliers de décoration, de perlage, d’ateliers de meulage, de satinage, de lapidage. Bref, un outil impressionnant et de très haute qualité qui vient compléter l’outil de production global de Maurice Lacroix.

Source: Europa Star October - November 2013 Magazine Issue