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BaselWorld 2011 : A la recherche de la montre parfaite

June 2011


Quelle montre achèteriez-vous?

Au dernier jour du Salon mondial de l’horlogerie et de la bijouterie, plus simplement nommé BaselWorld 2011, la question fatidique m’a été posée: "si vous aviez libre choix, quelle montre achèteriez-vous?".

Je dois avouer que j’ai bien été en peine de répondre du tac au tac. Le destin d’un journaliste horloger est de voir passer entre ses mains toutes les plus belles montres du monde. Pourquoi donc, ensuite, vouloir en posséder une en particulier?

Il m’était d’autant plus difficile de répondre immédiatement à cette question qu’au cours de cette semaine, tant de montres m’avaient été montrées, vantées, voire méticuleusement expliquées pour certaines qui le nécessitaient cruellement, qu’une forme de confusion générale s’était installée dans ma tête. Imaginez un peu: Baselworld, ce sont quelques 627 horlogers présents. Multipliez ce chiffre par plusieurs nouvelles collections par tête de pipe, et autant de références par collection et vous parviendrez à un chiffre dépassant l’entendement. Un chiffre qui démontre, par ailleurs, que l’imagination créative parvient à s’exprimer de façon étonnante dans quelques pauvres centimètres carrés, le plus souvent agencés en rond, quelque fois rectangulaires, parfois, rarement, patatoïdes ou bizarroïdes (et ce ne sont généralement pas les plus réussies des montres)...

Comment donc rendre compte adéquatement de cette déferlante esthétique et de cette incessante poursuite technique? Inutile de prendre les choses chronologiquement. On ne ferait ainsi que reproduire et dupliquer la confusion ambiante car, en 2011 (première année de la “post-crise”, pour certains, pas pour tous) tout et son contraire est possible. Vous pensiez par exemple que le bling était définitivement enterré? Eh bien vous aviez tort. Il suffisait de faire un petit tour du côté d’un Jacobs & Co pour assister en direct à une résurrection du Bling King tout juste sorti des geôles américaines et étalant aussitôt pour plus de 100 millions de US$ de diamants agencés en forme de montres (ce qui n’est pas la même chose que des montres ornées de diamants) dans ses vitrines bâloises, complétée d’une collection plus “horlogère” (avec notamment un étonnant tourbillon sur rotor, eh oui) remodelée par l’enfant terrible de l’horlogerie suisse, Yvan Arpa.

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CYCLONE TOURBILLON, GHOST et GRAND de Jacobs & Co

Vous imaginiez que tout allait être ultra-plat et minimal? Erreur grossière. Si les tailles ont – un peu – diminué, vous aviez néanmoins l’occasion de trouver à Bâle toutes les montres pour camionneurs à grosse nuque que vous vouliez. Vous étiez certains que les folies mécaniques genre "tourbillon sur tourbillon posé sur masse oscillante excentrée pilotant un quantième perpétuel à sonnerie en passant par la case jackpot" étaient définitivement enterrées? Eh bien non! Les fous volants de la mécanique sont toujours bel et bien là. Et c’est tant mieux, d’une certaine façon. Car cette baroque effervescence – qui n’est pas à confondre avec le tout venant (trois aiguilles ou chronographes simples) formant le bread-and-butter de l’horlogerie – est le signe que l’horlogerie est et reste un formidable miroir de notre monde en ébullition. Il suffisait de dénombrer le nombre de jeunes gens encore et toujours attirés par ce pot de miel – miel potentiel car nombreuses seront les déconvenues – pour constater que l’horlogerie, en crise ou en post-crise, jouit toujours d’un pouvoir d’attraction énorme. Un pouvoir d’attraction qui est sans commune mesure avec son poids réel dans l’économie mondiale. Car, que pèsent les 17 ou 18 milliards d’exportation atteints à nouveau par l’horlogerie suisse face au plus de 400 milliards de chiffre d’affaires d’un Wal-Mart, pour prendre un exemple...? Economiquement, pas grand chose. Mais énormément en terme d’image.

Se laver les yeux

Devant cette déferlante esthético-technique, face à tant de propositions divergentes, il était nécessaire, sous peine de perdre le nord, d’en quelque sorte se “laver les yeux” afin d’y voir plus clair. L’occasion nous en a été fournie au troisième jour du salon, lorsque nous avons été conviés à découvrir la collection 2011 de Patek Philippe. Autant l’avouer tout de suite: à nos yeux ainsi dessillés, Patek Philippe a démontré que, dans le peloton des marques de prestige, la maison familiale jouait une classe au-dessus des autres. De toutes les autres, serait-on même tenté de dire, au risque d’en froisser quelques unes. Il y a dans cette collection une telle évidence horlogère, un soin, une attention au détail, une “classe naturelle” qui en fait un phénomène unique en son genre. Oui, c’est cher. Mais dieu que c’est beau.

A sa façon, ce “premier plein exercice” de Thierry Stern – l’ombre tutélaire du père, Philippe, se retirant progressivement – démontre que le passage de témoin entre les deux générations a été parfaitement maîtrisé. En dehors de la Référence 5208P – un chronographe, répétition minutes et quantième perpétuel à affichage à guichets instantané d’une limpidité esthétique toute en retenue qui ne laisse en rien présager de sa complexité (lire à ce sujet Europa Star 2/11 Special Basel) – Patek Philippe présentait entre autres un Chronographe Perpetual Calendar (Réf. 5270G), une nouvelle version de la Réf. 521 6R, soit une Répétition minutes, Tourbillon (caché comme toujours), Calendrier perpétuel avec date rétrograde et phases de lune, un Quantième Perpétuel extra-plat au cadran laqué noir avec lunette Clou de Paris du plus bel effet (Réf 5139 G), un Quantième Perpétuel à affichage rétrograde dans un boîtier style Calatrava (Réf. 5496 P), ou encore une sublime et simplissime Ladies First Répétition Minutes automatique (Réf. 7000 R) qui n’est en rien une quelconque réduction de modèle masculin (lire l’article «Women’s watches galore» dans le Magazine) ou, dans la même collection, un Ladies First Chronographe à rattrapante mono poussoir (Réf. 7059 R) ...sans oublier toute une série de nouvelles Calatrava d’une évidence stylistique absolue.

Avec l’ensemble de mes confrères présents, nous étions tous presque muets devant tant d’évidence horlogère. Un seul mot: la grande classe! Passent les styles, montent et descendent les tendances, peu importe, semble-t-il, aux yeux de Patek Philippe qui se “contente” de poursuivre son chemin, sans faux-orgueil mais avec une haute conscience de sa propre nature d’exception.

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Ref. 5073P et Ref. 5216R de Patek Philippe

King Rolex

Seul avec Patek Philippe, mais dans un tout autre registre, à pouvoir simplement poursuivre sa voie sans jamais y déroger (quels que soient les changements survenant au dernier étage...),Rolex, comme chaque année, déroulait les quelques petits ajustements apportés à ses modèles d’anthologie. Une politique unique en son genre, qui est de sans cesse améliorer son offre, touche après touche, à tout petits pas. Ainsi, cette année, l’accent est-il mis sur deux axes: les montres “professionnelles” et les montres féminines (à ce sujet, lire l’article «Women’s watches galore» dans le Magazine).

Rayon “professionnel”, Rolex présente ainsi une nouvelle version “Everose Rolesor” (combinaison exclusive d’acier 904L et d’or rose, pour la première fois utilisée dans la collection Oyster) de sa Yacht-Master II de 44mm, lancée initialement en 2007, avec son système de mémoire mécanique (10 min) programmable par la lunette et équipée du mouvement 4160 à spiral Parachrome; une nouvelle version agrandie à 42mm et équipée du mouvement de dernière génération, le calibre 3187, à spiral Parachrome et amortisseurs de chocs Paraflex, de sa fameuse Explorer II, lancée il y a 40 ans et qui retrouve son aiguille orange caractéristique; ou encore une nouvelle version de sa mythique Cosmograph Daytona de 1963, équipée de sa nouvelle lunette monobloc en céramique Cerachrom noire montée sur boîtier or Everose, proposée avec cadran chocolat ou ivoire. Du Rolex, rien que du Rolex dans toute l’acceptation qualitative du terme. Un “monde en-soi”, ou un tranquille “continent” autonome au milieu de la planète horlogère en ébullition.

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44-MM YACHT-MASTER II et COSMOGRAPH DAYTONA de Rolex

Une “micro-tendance” révélatrice

Mais redescendons dans l’arène, mêlons-nous de plus près à l’agitation et tentons de distinguer, auprès de marques les plus puissantes comme des plus modestes, auprès des créateurs indépendants comme des “marchands de montres”, les traits les plus marquants de cette édition. Dans ce grand mélange des tendances les plus diverses, voire les plus contradictoires, émergent quelques mouvements d’ensemble, se distinguent quelques signes peut-être précurseurs, au delà du simple constat du reflux (tout relatif) de l’extravagance gratuite. On peut ainsi distinguer une “micro-tendance”, certes limitée à quelques montres, mais néanmoins intéressante dans ce qu’elle nous dit sur notre rapport “civilisationnel” à la mesure du temps, voire à la “décroissance”...

Cette “tendance” est représentée au mieux, et au plus poétique, par la déjà fameuse Le Temps Suspendu d’ Hermès (lire à ce sujet notre éditorial dans ce numéro). Cette montre qui permet donc de “suspendre” l’affichage du temps pour y revenir quand bon nous semble, n’est pas née par hasard chez Hermès. Comme le dit Luc Perramond, CEO des Montres Hermès, "cette expression presque philosophique, en tous les cas poétique, de suspension du temps est particulièrement appropriée à Hermès dont le territoire horloger propre est celui du "temps de l’imaginaire". Pièce donc stratégique dans l’expression de ce territoire, Le Temps Suspendu – dont le mécanisme est dû à l’ingéniosité de Jean-Marc Wiederrecht, patron du “laboratoire” horloger créatif Agenhor, à Genève – est une montre née d’une affirmation: "le temps est un ami, le temps est une ressource, Hermès a tout son temps" (affirmation qui prend tout son sel dans le contexte de la bataille actuellement menée par Hermès contre LVMH).

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LE TEMPS SUSPENDU, Hermès

Mais à Bâle cette pièce emblématique n’était donc pas seule dans son genre. Hublot présentait également sa montre indiquant “votre temps, selon votre choix”: la MP 02 Key of Time de

Hublot (inventée par Mathias Butet, ex-BNB) propose soit d’accélérer le temps de 4 fois, soit de le ralentir d’1/4, soit enfin de le laisser couler à sa mesure exacte.

Mais là où la solution proposée par Hermès est d’une parfaite simplicité en corrélation étroite avec le but recherché – suspendre véritablement la mesure du temps qui passe pour n’en laisser que la subjective perception – la Key of Time a l’apparence d’une complexe machine mécanique ultra-contemporaine en DLC noir plus faite pour la performance que pour la méditation. De plus, dotée qu’elle est d’un tourbillon volant verticalement disposé pour égrener les secondes sur la tranche de la montre, secondes qui poursuivent leur route quel que soit le régime choisi par le porteur – temps accéléré ou temps ralenti - elle se contredit elle-même, pourrait-on dire, et ne permet pas vraiment “d’oublier” le temps.

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MP 02 KEY OF TIME , Hublot

Une toute autre proposition de réappropriation de son propre temps intime émane de la nouvelle marque BorgeauD (lire “The Septagraph by BorgeauD” sur www.europastar.com). La montre Septagraph, transcrivant mécaniquement le principe du calendrier indien Rahu-Kaal, permet ainsi de se réserver quotidiennement une tranche horaire de 90 minutes. Ce laps de temps “différent”, dont l’occurrence varie chaque jour de la semaine, est indiqué par une flèche découpée dans le cadran, qui vient se colorer instantanément avant que de refluer lentement durant les 90 minutes quotidiennes de “temps stratégique” que vous consacrerez à vous mêmes, à l’exclusion de tout autre souci. Un mode donc encore différent de “suspension” de la règle horaire sociale. Prémonitoire?

La voie rapide

Ces trois montres expriment en effet à leur façon l’inconscient de notre époque où tout un chacun a l’impression d’une dangereuse et inexorable course en avant, menaçant à terme jusqu’à la propre survie de l’humanité. Mais, tandis que certains cherchent ainsi à échapper à la dictature de l’instantanéité et de la performance, d’autres (et parfois les mêmes) courent après le temps pour mieux le fractionner encore en dixièmes, en centièmes, en millièmes. Sur cette “voie rapide” de l’autoroute horlogère, TAG Heuer caracole très nettement en tête. Déjà dans les starting-blocks avec le Carrera Mikrograph 1/100th Second Chronograph, sorti fin janvier 2011, un engin tournant à 50 Hz, soit 360’000 alternances/heure et mesurant mécaniquement le centième de seconde, voici que la marque aligne un bolide carburant au 500 Hz, soit 3’600’000 alternances/heure, de quoi pouvoir mesurer le 1’000ème de seconde (avec une réserve de marche chronographique proportionnelle à cette vitesse, c’est à dire aujourd’hui environ 2 minutes et 30 secondes). Et imaginez de plus qu’à cette allure l’échappement peut se passer de balancier!

A quoi peut donc servir cette mécanique infernale, demanderez-vous, car il faut déjà compter entre 0,4 et 0,6 seconde pour que le système nerveux central humain mobilise les unités motrices, nerfs et muscles, impliqués dans le déclenchement d’une action? Mais à ni plus ni moins que le plus banal des chronographes dont la majorité, on le sait bien, n’a jamais rien décompté, pas même la cuisson d’un oeuf! Non, plus sérieusement, la véritable percée réussie par TAG Heuer avec sa montre-concept Mikrotimer Flying 1000, dotée de douze brevets en attente, ouvre à la mécanique de nouvelles perspectives. TAG Heuer fait ainsi office de laboratoire in vivo de la mécanique horlogère, après, on le rappelle, son magnétique Pendulum de l’année dernière, premier mouvement mécanique sans spiral (toujours dans les bancs d’essai).

Nous reviendrons aussi en détail dans notre prochain numéro sur cette innovation de première importance, en compagnie de Guy Semon, vice-président Sciences & Engineering de TAG Heuer. Mais d’ores et déjà, cette mécanique tout à fait inédite démontre l’efficience et la pertinence du croisement entre ingénierie, mathématiques, matériaux, sciences tribologiques, calculs vibratoires et...horlogerie traditionnelle. Une “fusion” d’avenir, aurait-on dit si le mot même “fusion” n’avait été entièrement accaparé par Jean-Claude Biver. Mais dans cette “fusion” qui dessine l’horlogerie de demain, TAG Heuer a pris une belle longueur d’avance avec ses “concepts” qui s’enchaînent à grande vitesse.

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MIKROTIMER FLYING 1000 CONCEPT WATCH de TAG Heuer

Des “concepts” qui décollent

La crise n’a donc pas tué le besoin de “concept”, au contraire peut-être, et la recherche est et demeure plus que jamais le lieu où s’élaborent concrètement de nouvelles pistes – pistes qui n’aboutiront certes pas toutes à l’oasis, certaines allant s’égarer dans les sables.

Un “concept” qui, lui, aurait plutôt tendance à “décoller” au-dessus des sables est celui imaginé par Denis Giguet pour l’Opus 11 (“Eleven”, pardon) de Harry Winston. Imaginez un manège de foire, tiens, celui fameux des tasses, par exemple: disposées sur un plateau tournant, des tasses tournent elles-mêmes dans leurs sous-tasses... Transcrivez en termes horlogers: une grande roue supporte quatre mobiles d’heures qui supportent à leur tour chacun six palettes réversibles (plus exactement trois paires de palettes), soit 24 palettes en tout. Sur ces palettes en laiton figurent des fragments de lignes graphiques. En se rassemblant quatre par quatre au centre de la montre, ces palettes forment ensemble le chiffre variable de l’heure. Toutes les 60 minutes, ce chiffre “explose” littéralement, les palettes se soulevant verticalement, pivotant, tournant durant trois secondes avant de venir recomposer au centre le chiffre de l’heure qui vient de survenir. Un spectacle cinétique absolument inouï, produit par une machine composée de 566 éléments, d’engrenages elliptiques produisant des impulsions verticales, de colimaçons, de bascules, d’une roue triangulaire, de pignons coniques et j’en passe, le tout sous un verre saphir en forme de coque. Certainement la montre ludique la plus étonnante de Baselworld, même si on peut avoir formellement quelques réticences quant à l’ajout de deux “pavillons” latéraux renfermant les minutes et le balancier. Pourquoi ne pas avoir osé n’indiquer que l’heure, c’eût été plus radical? (Voir la vidéo «OPUS 11 by Harry Winston» sur europastar.com)

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OPUS 11 de Harry Winston et Denis Guiget

Cet Opus 11 est la pièce la plus emblématique de cette tendance, certes marginale mais allant en s’accentuant, d’une horlogerie ludique, tridimensionnelle, accumulant les jeux cinétiques.

Elle est le fait de cette deuxième génération de marques de niche indépendantes qui privilégient les recherches sur l’affichage. Parmi celles-ci, citons notamment Hautlence, qui présentait enfin son étonnante HL2.0, avec son organe régulateur en ligne tournant sur lui-même, Urwerk et sa nouvelle UR-110 avec ses modules en contre-rotation (à propos de ces deux marques, lire notre numéro précédent ES 2/11), MB & F et ses “frogs” au croisement de la machine et du batracien, ou encore un Ladoire et ses sculpturales Black Widow.

Orthodoxies

Mais, la crise étant passée par là, on sent aussi très nettement un retour en force d’une horlogerie beaucoup plus orthodoxe, du moins dans son apparence. L’immense succès d’estime remporté très rapidement par l’ultra-classique Laurent Ferrier en témoigne (lire l’article «Perpetuals, pebbles and puzzles» dans le Magazine). Un Kari Voutilainen, toujours à la recherche de la chronométrie absolue, pousse encore un peu plus loin son expression classique avec une très intéressante nouvelle pièce, la “Vingt-8”, dotée d’un très grand balancier et de deux roues d’échappement à impulsion directe (nous reviendrons en détail sur cette montre dans notre prochain numéro ES 4/11).

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VINGT-8 de Voutilainen

A un autre niveau (en termes de volume, avec 1’500 pièces prévues cette année), la bonne santé affichée par H. Moser & Cie, hérauts d’une horlogerie d’une rare pureté, vient récompenser une ligne de conduite tenue avec une étonnante constance: pas de course à la nouveauté mais un approfondissement stylistique et technique d’une grande subtilité, mené petite touche après petite touche, à l’image d’un nouveau cadran brun – un “Marrone” magnifique – apporté cette année à la Monard. La percée de

H. Moser & Cie (désormais plus de 80 points de vente dans 21 pays, dont la moitié en Asie) a aussi été rendue possible car la fameuse Moser Perpétuelle (le plus élégant et simple quantième perpétuel de l’horlogerie) a enfin commencé à être livrée en 2010, à un rythme de 20 pièces par mois. Autre raison, sans doute, à ce succès, la politique de “vérité des prix” menée par H. Moser & Cie. Une politique de prix mesurés qui lui avait été vertement reprochée avant la crise (certains l’accusant de "casser le marché" avec un QP si parfait vendu à 50’000.-FS) mais qui a été fermement maintenue. Aujourd’hui, ce qui était considéré par certains comme une erreur stratégique se révèle être un formidable atout.

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MOSER PERPÉTUELLE de Moser & Cie

Speake-Marin

Nourri lui aussi d’horlogerie classique (il a commencé à Londres par la restauration de chefs-d’oeuvre horlogers passés), Peter Speake-Marin, après avoir tant travaillé pour d’autres, est bien décidé cette fois à "se lancer à fond dans sa propre marque", comme il le dit lui-même.

Depuis 2008, il développe son propre calibre, le SM2 enfin arrivé à maturité et qui va être la rampe de lancement de sa marque. C’est un calibre entièrement exclusif, pour lequel tout, jusqu’à la dernière des vis, a été dessiné spécifiquement, construit par Laurent Besse, et qui est conçu pour être une “fondation”, une base dotée d’une "grande force énergétique" - gros barillet, 72 heures de réserve de marche - qui puisse par la suite entraîner toutes les complications possibles, qu’elles soient intégrées ou par plaques additionnelles. C’est un très bel heure, minutes, secondes centrales à remontage automatique (qui existe aussi en version manuelle), magnifiquement architecturé, avec ses larges ponts, aux formes à la fois douces et pointues (celtiques?) accolées les unes aux autres, son étonnante roue de rotor de la même veine. Les finitions sont limpides, parfaites, il se dégage une finesse et une élégance rares. Ce mouvement vient couronner les nouvelles collections de Peter Speake-Marin qui progressivement vont s’étager en trois lignes: la ligne Marin, composée de montres toutes équipées du SM2, la ligne Classic, allant de la montre automatique en acier jusqu’au tourbillon répétition minutes, mais composée de calibres existants modifiés pour l’occasion, et une troisième ligne, dont le nom sera prochainement dévoilé, qui sera comme le “bureau de recherche” de la marque et proposera des montres- concept innovantes, dans une boîte différente.

La boîte, parlons-en, car c’est précisément un des signes de reconnaissance les plus importants de l’horlogerie à la Speake-Marin. Ses codes stylistiques, il les a établis dès le départ, en 2000, avec ce qu’il appelle la “Foundation Watch”, où l’on retrouve déjà tous les éléments de design les plus marquants, directement influencés par l’horlogerie et l’outillage classiques (à l’exemple de la forme particulière de la cage du tourbillon, identique à celle du rotor de la SM2, tous deux issus de la roue d’une machine à arrondir les dentures, ou la caractéristique grosse couronne, les aiguilles en forme de cœur, les cornes dotées de vis...).

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SM2 CALIBRE and MARIN 2 de Peter Speake-Marin

Les tourbillons de Cecil Purnell

Dans un style beaucoup plus flamboyant, Cecil Purnell, marque ne proposant que des tourbillons, cherche aussi à passer à la vitesse supérieure. Après quelques déboires techniques, Cecil Purnell s’est rapproché de Magma Concept et de Cédric Grandperret, constructeur. Tout a été repris à zéro: un nouveau mouvement de base a été conçu en interne – le CP 3800, un 3Hz, 21’600 alternances/h, doté de 60 heures de réserve de marche, avec échappement MHVJ et une roue d’échappement à 15 dents (contre les 20 traditionnelles) pour pouvoir facilement basculer à 2,5Hz, soit 18’000 alternances/h, gage de précision. Une évolution vers l’automatique est prévue, avec micro-rotor. Ce travail ex-nihilo est parfaitement mis en valeur dans le modèle Classique 43 en or rose ou or gris qui offre une très belle profondeur visuelle, notamment grâce à son cadran cuvette sans pied qui supporte une plaque saphir sur laquelle les index sont directement posés. La large lunette permet aussi de généreux jeux de sertissage (notamment baguettes très visibles). Plus contemporain et plus “mordant”, le modèle CP 47 est proposé en acier traité PVD noir, en or rose 5N18 ou en or gris palladié. Une version Grande Date est proposée cette année dans un boîtier CP 47, aux dimensions suffisamment généreuses pour pouvoir permettre un affichage optimal de celle-ci (les cercles portant les chiffres des dates restant visibles).

Pour marquer son retour sur le devant de la scène, Cecil Purnell tenait à proposer une pièce “iconique”. C’est La Croix, un design audacieux et très segmentant – on sait que le design cruciforme a déjà été tenté par le passé, notamment chez Roger Dubuis période Diaz avec plus ou moins de bonheur. En or rose ou or blanc monté sur caoutchouc ou croco (belle intégration du bracelet dans le boîtier), La Croix a été très complexe à réaliser, notamment sa boîte (dont le dessous est composé d’un hublot plat sur fond galbé pour que la pièce ne tourne pas autour du poignet). “La crise nous a beaucoup appris”, explique Jonathan Purnell, "et nous oblige tous à enfin penser au client final, dans la plus grande transparence – nous sommes suisses à 100% et pouvons le prouver -, en étant irréprochables au niveau de la qualité, des finitions et en proposant des prix qui soient totalement justifiés.“Quels sont-ils, ces prix”justifiés"? Chez Cecil Purnell, il faut compter entre 90’000.- et 130’000.- CHF.

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LA GRANDE DATE et LA CROIX de Cecil Purnell

Dignité de Seiko

A BaselWorld, Seiko donnait sa rituelle conférence de presse, sous un double signe contradictoire: la marque fête cette année ses 130 ans, et avait donc conçu un programme de produits en conséquence, mais le tsunami et la catastrophe nucléaire qui s’en est suivie étaient naturellement dans toutes les têtes. C’est un Shinji Hattori très digne et très sobre qui ouvrit la conférence, pour dire que Seiko n’avait pas subi de pertes humaines et pour remercier de l’énorme élan de solidarité exprimé par la communauté horlogère à leur égard. Et de rappeler qu’il était le descendant de Kintaro Hattori, son arrière grand-père qui avait ouvert en 1881 l’atelier qui allait devenir la matrice de l’empire actuel (outre Seiko Watches et ses autres marques, Seiko c’est aussi Seiko Epson, Seiko Instruments, Seiko Optical Products, Seiko Precision, ou encore Wako, le célèbre department store de Tokyo, appelé à devenir l’immense flagship de la corporation).

On aurait souhaité voir nos amis japonais fêter leurs 130 ans dans de meilleures conditions. Bien que les pertes matérielles aient été relatives, le séisme et la catastrophe pèseront lourd sur l’environnement économique japonais dans son ensemble, dans un tissu industriel où est né le concept de flux tendu. Problèmes de livraisons et de logistique, anémie probable du marché intérieur des produits de luxe conjuguent leurs effets. Mais Seiko a des ressources. Et n’oublions pas que c’est une manufacture complète, intégrée à 100%: Seiko fait tout! A titre de démonstration, Seiko a préparé pour ses 100 ans une collection complète représentant l’ensemble des technologies qu’elle maîtrise: mécanique, Spring Drive, Kinetic, quartz.

A commencer donc par le fleuron de la saison, le Credor Spring Drive Minute Repeater, édité en 3 pièces cette année, et vendu à un prix avoisinant les 400’000 US$. Une pièce attendue car une des grandes qualités de la technologie Spring Drive est son silence tout particulier. Un silence propice donc à laisser accueillir la subtile sonnerie inspirée par les traditionnelles “wind-bells” de l’auguste compagnie Myochin, créée il y a 850 ans: “le son (chime) authentique du Japon”. Le “governor” qui pilote le déclenchement de la répétition est lui aussi silencieux, fonctionnant grâce à la viscosité de l’air (comme Seiko l’avait déjà expérimenté dans la Spring Drive Sonnerie de 2006). Les marteaux agissent sur deux gongs, produisant trois sons distincts. Le mouvement lui-même est bien protégé à l’abri d’une boîte intérieure. Les timbres sont fixés à l’extérieur de cette boîte intérieure, produisant donc un meilleur son. Mais comment dès lors les marteaux intérieurs peuvent-ils frapper les timbres extérieurs? Ils ne frappent pas directement le timbre mais agissent par l’intermédiaire d’une petite pièce mobile qui, poussée par le marteau, va elle-même frapper le timbre. La réalisation de cette pièce au caractère “japonais” affirmé, a été confiée au Micro Artist Studio, une “unité d’élite” composée d’une poignée d’horlogers de haut vol (qui travaillent sous l’auguste protection de Philippe Dufour, dont la photo trône au-dessus d’eux: il les a notamment formés aux subtilités les plus pointues de l’anglage).

Une “japonité” que l’on retrouve, exprimée bien différemment, dans la collection Ananta, dont les formes, les cornes notamment, sont taillées selon le Katana, cet art traditionnel de forger et de polir les lames d’acier.

Seiko y introduit son premier chronographe automatique de plongée, équipé du Calibre 8R39. Un nouveau mouvement ( Seiko a été la première maison à disposer en 1969, suivie de près par les Suisses, d’un chronographe automatique à roue à colonnes et embrayage vertical spécialement conçu à cet usage, robuste, anti-magnétique, protégé par trois fixations (clamps) plutôt que de deux et qui bat grâce à un nouveau spiral laminé par Seiko dans un alliage propriétaire, le SPRON 610. Autre signe de “japonité”, dans un souci d’amélioration maximale de la lisibilité, le cadran de cette montre de plongée est réalisé individuellement, à la main, par un maître-laqueur renommé, capable d’atteindre à ce noir profond si particulier qu’on nomme “Shikaku”, le noir pur. Cet Ananta chronographe automatique de plongée ne sera édité, pour le monde entier, qu’à 600 exemplaires.

Autre pièce à noter, directement commémorative celle-ci, est la réédition de la première Grande Seiko de 1960, équipée d’un splendide nouveau mouvement à remontage manuel, le Calibre 9S64, lui aussi équipé d’un spiral amagnétique et résistant SPRON610. Ce mouvement dont la précision est de -3 à + 5 secondes/jour dispose d’une réserve de marche de 3 jours grâce à un nouveau et plus fin ressort, également issu d’un alliage propriétaire (SPRON510). Un “collector” vintage édité en 130 exemplaires pour un boîtier or ou platine, et 1300 exemplaires en acier.

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CREDOR SPRING DRIVE MINUTE REPEATER et ANANTA AUTOMATIC DIVER’S CHRONOGRAPH de Seiko

Swatch Plaza

Impossible, totalement impossible de rendre compte de façon équilibrée du fourmillement de marques et d’activités qui pullulent en tous sens à BaseWorld. Grands ou petits mélangés, pourquoi faire de différence. Nous sommes parfois donc obligés de vite passer sur certains grands et bien contraints de parler longuement de tout petits. Quoiqu’il en soit, parmi les tout grands, il y a bien-sûr, incontournable (au propre comme au figuré car à BaselWorld le visiteur, s’il veut continuer plus loin son chemin, doit physiquement contourner la “plazza” Swatch), le Swatch Group, dont c’était là le premier BaselWorld sans qu’on ne croise la silhouette si familière et si reconnaissable de Nicholas Hayek. Mais s’il était absent physiquement, son héritage était bel et bien présent, et très symboliquement chez Breguet, sa marque-fétiche qui présentait cette année les nouveautés les plus intéressantes du groupe – dans le secteur de la Haute Horlogerie.

Au premier rang, la Classique Hora Mundi. Trois versions de cadrans représentant chacun une part du monde, une “part de marché”: le continent américain, les continents européens et africains réunis, l’Asie et l’Océanie. L’innovation de la Hora Mundi est ailleurs, dans l’affichage de deux fuseaux horaires par saut instantané de l’un à l’autre, avec, qui plus est, la synchronisation de la date, affichée par disque traînant (laissant apparaître le jour, sa veille et son lendemain) grâce à un système inédit de “quantième suiveur”. Une petite aiguille rétrograde terminée par un cercle va venir encadrer le jour, le suivre et sauter instantanément au suivant dès minuit. La fonction Hora Mundi permet donc de présélectionner deux villes parmi les 24 affichées et de passer ainsi à volonté d’un fuseau à l’autre. A la base de ce mouvement 5717, on retrouve le calibre 777 avec échappement en silicium, auquel une plaque additionnelle a été apportée. Au centre du cadran, un globe terrestre étampé, guilloché main, laqué, un jour/nuit de lapis-lazuli étoilé de pyrites, un soleil en or jaune et une lune en or jaune rhodié.

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HORA MUNDI de Breguet

Chez Omega, on retiendra avant tout le lancement du nouveau calibre Co-Axial 9300/9301, premier de ce type d’échappement à incorporer une fonction chronographe à roue à colonnes. Equipé d’un spiral silicium, il permet aussi l’affichage sur un même compteur, à 3h, des indications chronographiques de 12h et des 60 minutes, autorisant ainsi une lecture très intuitive des temps chronométrés. Cet intéressant mouvement vient, pour son lancement, équiper une nouvelle Speedmaster.

BaselWorld 2011 : A la recherche de la montre parfaite
SPEEDMASTER, CALIBRE 9301, Omega

Au moment où Chanel lance mondialement et avec des ambitions très fortes – il s’agit notamment, stratégiquement, d’attirer enfin en masse les hommes chez Chanel – sa céramique dite “Chromatic”, dans la composition de laquelle entre du titane, Rado, leader historique dans ce domaine depuis 1986, présentait à BaselWorld son Ceramos®, combinaison semblable de céramique et de carbure de titanium, illustrant sa percée technique avec la ligne Rado D-Star, descendante de la fameuse Rado DiaStar lancée en 1962. L’ambition est de montrer que ce nouveau matériau, plus dur encore que la céramique hi-tech traditionnelle, est parfaitement adapté à un design aux formes tranchées et aux arrêtes vives. Entre la marque du Swatch et Chanel, la “guerre” de la céramiquetitane est lancée. Mais ces deux marques s’adressant à un public différent – plus masculin, plus sensible à la technicité pour Rado, plus sophistiqué chez Chanel – il faut voir avant tout dans cette double avancée technique l’émergence d’un nouveau territoire.

BaselWorld 2011 : A la recherche de la montre parfaite
D-STAR de Rado

Grandes manœuvres

A propos de territoires à conquérir, un groupe cependant dominait le versant “fusions-acquisitions- grandes manœuvres” de l’horlogerie: LVMH}. Présent sur plusieurs fronts, LVMH tout à la fois semblait faire le forcing contre les responsables de Baselworld avec la mise en scène d’un bateau Vuitton amarré au pied du plus bel hôtel de la ville, évitait de trop parler de l’hostile assaut mené contre Hermès, et venait de voir le territoire de son empire soudain augmenté avec la prise de contrôle de Bulgari. Chez ces derniers, dans l’attente des inévitables audits de la transition, puis des décisions stratégiques qui seront prises – notamment dans la question de plus en plus cruciale de l’intégration industrielle et des mouvements - on affichait un “business as usual” de façade. (On imagine déjà les échanges entre les hiérarques de la maison - les Babin, Biver, Dufour auréolés de leur réussite actuelle respective, TAG tournant à plein régime, Hublot tirant tous azimuts et Zenith en pleine renaissance - mis à présent sous la tutelle d’un Francesco Trapani qui, en détenant à titre personnel les quelques pourcentages fatidiques permettant à LVMH d’atteindre les 51%, a pu négocier à sa guise son rôle dans le nouvel organigramme. On salue au passage Philippe Pascal, dès lors appelé à d’autres fonctions, qui avait jusqu’ici fort bien mené la barque horlogère du groupe).

En attendant que les choses forcément changent – Genta et Roth vont-ils retrouver leur autonomie? Que va-t-il advenir au juste de l’industrialisation programmée? Et au niveau de la distribution, des boutiques, quelles nouvelles synergies? – Bulgari montrait ses nouvelles nichées de Serpenti (un modèle qui, semble-t-il, “cartonne”) déclinés en or jaune, or rose et haute joaillerie ou, rayon hommes, une nouvelle Diagono Cal 303, ou encore une très réussie incursion en Nouvelle-Zélande, avec la très haut de gamme All Blacks (à 15’900.-FS) toute tatouée de signes Maoris évoquant force, courage et renaissance, dans son boîtier noir dont la forme évoque un visage de guerrier. Une pièce réussie, bien au-delà de la seule opération marketing, car sans doute est-elle aussi le fruit d’une véritable "acquisition de connaissance" de la culture, du culte serait-il plus exact de dire, qu’est l’Akka, véritable rituel d’intimidation et d’exposition de force pratiqué notamment par les All Blacks. De cette pièce dûment approuvée par le autorités de l’Akka, se dégage en effet une force singulière. On ne pensait pas vraiment trouver de la “spiritualité” chez Bulgari (encore moins peut être chez LVMH) et voilà qu’au détour du chemin, elle vous tombe dessus sans crier gare.

BaselWorld 2011 : A la recherche de la montre parfaite
ALL BLACKS de Bulgari

Source: Europa Star Première Vol.13, No 3