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Sea-Gull - La nouvelle fabrique

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December 2011


Les Chinois sont de grands enfants, pressés de monter l’immense mécano qu’on pourrait appeler la Chine moderne. Avec plus ou moins de compétence, ils produisent tous azimuts, de la vuvuzela à la station spatiale. Le problème, c’est que tout va trop vite et si la production n’est pas rigoureusement encadrée, la machine déraille (vite, enterrons les wagons!). Évidemment, pas le temps d’inventer, donc impossible de rattraper le monde occidental, débordant de créativité. C’est encore plus flagrant dans l’horlogerie car l’industrie suisse dominante n’a pas besoin de produire en joint-venture avec les horlogers chinois pour écouler ses montres sur ce fabuleux nouveau marché. «C’est un luxe inouï», me répétait un ami allemand, ingénieur chez «Shanghai-Volkswagen» en m’expliquant la difficulté d’assembler leurs voitures high-tech en évitant tout transfert de technologie…

Mais que penser de Sea-Gull, la plus vieille marque horlogère chinoise (1955), aux montres 100% manufacture et capable de construire des doubles-tourbillons? A-t-on davantage le temps de créer et d’inventer quand on appartient désormais à la banque la plus riche du monde: l’ Etat chinois. Ce dernier vient d’ailleurs de lui offrir une grosse usine toute neuve que nous avons eu le privilège de visiter. Sea-Gull pourra-t-elle déployer ses ailes pour devenir un futur «Swatch Group chinois»? Réponse avec le sympathique jeune vice-directeur général (32 ans), Aries Lee.

Sea-Gull - La nouvelle fabrique Aries Lee

Europa Star: Une si grande usine pour de si petites montres! Ne vous a-t-on pas refilé celle d’Airbus, le voisin?

Aries Lee: (amusé) Et croyez-moi si vous voulez, il existe déjà un projet d’expansion! Mais depuis notre emménagement, en août dernier, nous découvrons aussi certains inconvénients comme les navettes de transport de nos 3000 employés qui nous coûtent la bagatelle de 8 millions de yuans par an (1,14 million de francs).

Sea-Gull - La nouvelle fabrique

ES: Alors quels avantages de quitter la ville pour une zone industrielle?

A.L.: En tant que société d’ Etat, nous n’avons pas le choix, nous suivons la stratégie du gouvernement qui a fait de la zone industrielle de Tianjin, le troisième pool économique du pays, attirant de nombreuses d’entreprises étrangères. Ici, nous jouissons de privilèges fiscaux importants, le terrain est pratiquement offert et les bâtiments – 300 millions de yuans (43 mio. de francs) – seront amortis en à peine 4-5 ans car le marché de la montre est en expansion.

ES: En expansion? En 2009, vous annonciez 300 000 montres et pour 2010, vous parlez de 200 000.

A.L.: Car en 2009, nous distribuions aussi des montres à quartz fournies par un fabricant de Hong kong. Mais c’est fini, désormais nous ne fabriquons que des montres et mouvements mécaniques. Le quartz, trop bas-de-gamme, n’est pas profitable et mauvais pour notre image de marque. C’est abandonné. Quant à la production de calibres en 2010, elle a atteint 3,7 millions de pièces.

ES: Vu la taille de l’usine, cela paraît encore modeste…

A.L.: En exploitant nos nouvelles capacités de production, nous aurions le potentiel de fournir en mouvements la moitié du marché chinois et le quart du marché mondial. Dans les prochaines années, nous adopterons une nouvelle stratégie, d’abord en ouvrant notre capital en bourse pour augmenter nos liquidités, puis en divisant l’entreprise en deux secteurs indépendants. D’un côté, il y aura le fournisseur de mouvements et de l’autre, la manufacture Sea-Gull qui grimpera en gamme.

ES: Quel est le but de la coopération avec la manufacture tessinoise ALFEX?

A.L.: Nous leur fournissons des pièces de mouvements qu’ils assemblent à leur façon et qu’ils revendent, peut-être, sous le label «Swiss made».

ES: Exportez-vous également vos tourbillons?

A.L.: Nous fournissons de nombreux marchés en mouvements mécaniques, notamment l’Europe, les Etats-Unis et l’Afrique. Auparavant, nous exportions peu de tourbillons. Mais nous avons cessé, c’est une valeur ajoutée que nous réservons à nos propres garde-temps.

Sea-Gull - La nouvelle fabrique DOUBLE TOURBILLON WITH DATE AND MOONPHASE, AUTOMATIC

ES: Vos montres sont élégantes mais terriblement classiques. Sauront-elles séduire une clientèle plus jeune, aux goûts généralement plus modernes?

A.L.:En Chine, du haut de ses 56 ans d’histoire, Sea-Gull est considérée comme une «vieille» entreprise et nous assumons le design rétro qu’on appelle ici le «style musée». C’est vrai, nous n’avons pas de modèles «fashion» pour les jeunes, mais nous y venons car le mois passé, nous sommes allés en Suisse, rendre visite à des designers horloger qui ont travaillé pour Tissot et qui ont accepté de dessiner pour notre marque.

ES: Cette future collection précisera-t-elle l’origine suisse du design?

A.L.: Oui car notre but est de devenir une marque d’envergure mondiale. Actuellement, nous sommes reconnus comme une bonne entreprise chinoise par les Chinois. Mais dans le futur, nous exporterons davantage notre marque.

ES: Pourtant, le «China made», même de bonne qualité, souffre d’une mauvaise réputation. Comment convaincre?

A.L.: Notre marché est étrange, nous faisons si peu de publicité et nos ventes sont quand même importantes. C’est uniquement par le bouche à oreille! Si vous faites un bon produit à prix raisonnable, un jour, vous rencontrez votre public. Imaginez qu’en 2003-2004, notre chiffre d’affaires n’atteignait pas le 1 million de yuans contre 220 millions en 2010. La progression est énorme, et pourtant, c’est encore insuffisant.

ES: Visez-vous l’horlogerie suisse?

A.L.: Vous êtes les maîtres et nous les élèves. Nous ne prétendons pas attaquer l’horlogerie suisse, mais croyons qu’un jour, il y aura de la place pour nous sur le marché mondial. Pour beaucoup de gens, nous pouvons offrir une alternative à prix plus accessible. C’est n’est pas une guerre. Voyez en Suisse, il y a d’innombrables marques, chacune avec son style propre, et toutes en vivent bien.

ES: Mesurez-vous quand même qu’à l’étranger – d’autant plus en cette période de crise – la puissance financière de la Chine fasse peur? Comprenez-vous aussi que l’industrie horlogère suisse, qui a failli disparaître il y une trentaine d’années par l’invasion des montres japonaises à quartz, reste sur la défensive?

A.L.: Que pouvons-nous prétendre face à plus de 200 ans d’excellence horlogère suisse? Nous n’avons pas la capacité de lutter dans le haut de gamme. Mais je connais beaucoup de Chinois qui adorent les montres suisses, mais pas leurs prix. Enfin, je dirais que la concurrence est toujours une chose saine. Peut-être que certaines marques suisses devront améliorer leur rapport prix-prestations. Nos tourbillons, par exemple, sont vendus au dixième du prix!

ES: Certes, mais beaucoup prétendent que leur précision est incomparable… Respectez-vous certaines certifications?

A.L.: Nous offrons mieux qu’une certification, 10 ans de garantie, entretien et réparations compris. C’est important sur un tourbillon car il s’agit d’un mécanisme sensible. Du coup, avec nos montres, on peut pratiquer des activités sportives alors que la chose est impensable avec un tourbillon suisse, on vous expliquera que c’est très mauvais pour un calibre si délicat et si précis.

Sea-Gull - La nouvelle fabrique SELF-WINDING POCKET WATCH, AUTOMATIC WITH DAY, DATE AND MONTH, SKELETON DOUBLE TOURBILLON

ES: En visitant le musée de la marque, dans le hall d’entrée, il y avait un modèle à mouvement mécanique extraplat dans un boîtier assez épais. Un scoop?

A.L.:Oui, c’est un prototype au mouvement mécanique à remontage manuel de seulement 2,5 millimètres d’épaisseur. Et nous préparons le même en automatique! Ils seront habillés d’un boîtier extra plat et entreront sur le marché en 2012. Nous innovons également dans les matériaux, avec l’introduction du silicium aux propriétés mécaniques exceptionnelles.

ES: En tant qu’amateur de montres, quelle marque admirez-vous le plus?

A.L.:Elle n’est pas suisse mais allemande, c’est A. Lange & Söhne. Je trouve leur collection super élégante, d’un raffinement discret. En quelques années, avec deux ou trois cents employés pour une production d’à peine 5000 pièces par an, la marque est remontée au top. C’est un exemple pour Sea-Gull.

ES: Vous voyez, on avait raison de vous craindre… Alors quelle est votre stratégie d’expansion?

A.L.:(rires) En Chine, cette année, nous avons ouvert 25 boutiques mono marques en plus des 20 existantes, et nous visons un total de 200 boutiques à la fin 2015. Ensuite, nous tenterons notre chance à l’étranger, en commençant par l’Asie.

ES: Quelle est votre opinion sur vos concurrents chinois – FIYTA, Ebohr, Beijing Watch, etc.

A.L.:Difficiles à comparer, elles sont toutes privées alors que nous sommes une régie d’ Etat. Mais la principale différence est que Sea-Gull est une authentique manufacture, nous produisons nos montres de A à Z, à 100%. Nos concurrents sont de simples habilleurs qui se fournissent en mouvements, bracelets, aiguilles et cadrans. Ils n’ont pas la capacité de produire leurs propres mouvements.

ES: Beijing est une vraie manufacture!

A.L.:Exact, et ils sont assez bons dans le haut de gamme mais leurs volumes sont trop confidentiels pour parler de concurrent.

ES: En fait, votre position s’apparente à celle du Swatch Group et ses fournisseurs! Sauf que, malheureusement pour vous, FIYTA et Ebohr préfèrent se fournir en mouvements Seiko et Citizen

A.L.: Désormais, non seulement ils achètent nos tourbillons, mais également nos calibres mécaniques. Pourquoi? Car, suite aux différents désastres au Japon, Seiko et Miyota ne sont plus en mesure de garantir les volumes et désormais, FIYTA et Ebohr reviennent chez nous car ils doivent «sécuriser» leur marché. Sea-Gull, pour sa part, n’est absolument pas affectée puisque nous ne dépendons d’aucun fournisseur, excepté pour les matières premières. C’est notre chance de les convaincre!

Source: Europa Star Première Vol.13, No 6