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SIHH 2014 - RICHEMONT, un investissement de 300 millions de francs suisses prévus pour 2014

February 2014


Interview de Richard Lepeu et Bernard Fornas, co-directeurs généraux de Richemont, par Bastien Buss, publiée dans le journal “Le Temps”, le 25 janvier 2014. Europa Star International reprend cette interview avec l’accord du journal.

Bastien Buss: Comment s’est passé pour vos marques le Salon international de la haute horlogerie (SIHH) qui a fermé ses portes vendredi? Les commandes sont-elles hausse ?

Bernard Fornas
Bernard Fornas

Richard Lepeu
Richard Lepeu

Bernard Fornas: C’est un SIHH sans surprise dans le sens où nous continuons de constater un très gros attrait de la part de nos clients, détaillants. Ils ont l’opportunité d’admirer, en quelques jours seulement, toute la créativité de nos maisons, qui explose, de rencontrer les responsables de nos marques et de se voir expliquer ou réexpliquer leurs stratégies respectives. Cette proximité est unique. Ils peuvent ainsi embrasser une bonne partie de l’ensemble de l’horlogerie.

Richard Lepeu: S’y ajoutent toutes les rencontres avec les journalistes. Leur nombre est d’ailleurs en progression de 10% à 1300. Le SIHH est vraiment le rendez-vous annuel incontournable pour les marques présentes au SIHH, pour tous nos clients, comme l’est d’ailleurs BaselWorld pour les autres. C’est la 24e édition et pourtant nous sentons toujours la même énergie et le même enthousiasme.

Qu’est-ce que le SIHH augure pour le quatrième trimestre de votre exercice décalé 2013-2014 et au-delà ?

RL: Nous venons de publier de bons chiffres au troisième trimestre. Et n’allons donc pas y revenir. La date de janvier pour la tenue de ce salon reste fondamentale pour la planification et l’organisation de la nouvelle année qui commence [ndlr : il se tenait auparavant en même temps que BaselWorld, au printemps].

BF: En avançant le salon de quatre mois, cela a aussi forcé nos maisons à livrer plus tôt dans l’année. RL : Par ailleurs, le SIHH renforce encore l’image de Genève comme capitale de la haute horlogerie et au-delà, dans l’imaginaire des étrangers, comme ville phare pour le pays.

Quelle importance commerciale a ce salon pour Richemont ?

BF: Comme beaucoup de nos marques doivent composer avec une demande supérieure à leur offre, le salon leur donne davantage de visibilité, de prévisibilité pour l’année. Elles peuvent ainsi ajuster leur production en fonction des commandes passées par les détaillants. C’est un peu moins le cas pour les marques qui ont davantage d’activité dans leurs propres boutiques.

RL: Elle en revêt surtout pour la haute horlogerie, notamment en ce qui concerne les productions limitées. Plus concrètement, l’humeur reste très positive pour la branche, du moins pour nos maisons horlogères. La plupart des facteurs macroéconomiques semblent d’ailleurs aller en s’améliorant mais nous refusons de faire des quelconques prévisions.

2014 sera-t-elle une nouvelle année record pour l’horlogerie suisse, comme le pensent certains observateurs ?

RL: En ce moment, les spécialistes et économistes disent que 2014 sera meilleur que l’an dernier. Mais, en fait, on n’en sait rien. La conjoncture mondiale reste très volatile, au gré des informations économiques et politiques.

BF: Chez Richemont, nous maîtrisons la moitié de la réalité, de la situation, bref du business. Et même très bien d’ailleurs. Nous créons de nouveaux produits, gérons le marketing, la distribution et la communication. Par contre, l’évolution macroéconomique n’est pas entre nos mains. Notre rôle est toutefois de nous mettre dans la meilleure position possible et de faire mieux que les autres.

Globalement, comment se présente l’année en cours pour l’industrie du luxe, et en particulier pour Richemont ?

RL: Cela sera très dépendant de l’évolution des monnaies. Les taux de changes peuvent avoir un impact significatif. Le dollar reste la devise prédominante au niveau de la demande, comme aux Etats-Unis, en Chine et en Asie en général. Donc son impact peut être de taille. Un franc suisse un peu moins fort serait aussi le bienvenu!

On vous sent très prudents. Les années de folle croissance font-elles désormais partie du passé dans le luxe ?

BF: Cette prudence est une nécessité. Encore une fois, nous ne maîtrisons pas toutes les données de l’équation. Pourquoi parler de croissance à un ou deux chiffres ? Cela ne sert à rien. A nous de nous mettre dans la meilleure position possible. Ce que nous pouvons observer, c’est la nature exceptionnelle des créations de nos maisons, comme jamais. A partir de là, nous sommes dans la meilleure position possible pour bénéficier de ce qui peut se passer au niveau de l’économie mondiale.

RL: A quoi bon au juste faire des prédictions ? Nous sommes davantage intéressés par les tendances de fond, lourdes. Celles qui déploieront leurs effets sur le long terme. Et là, les perspectives sont bien entendu favorables à l’industrie des produits de haut de gamme, et donc pour Richemont. Plusieurs analyses ont fait le constat qu’elles sont encore plus porteuses pour les « hard products ». Et comme nous sommes leaders mondiaux en la matière…

Ces prochaines années, la joaillerie, votre principal segment d’activité, générant la moitié de vos ventes, devrait croître plus rapidement que l’horlogerie, selon des experts. Votre analyse ?

BF: C’est un constat que nous avons aussi établi. Il y a moins de concurrence que dans l’horlogerie, où elle est vraiment exacerbée. Au niveau joailler, il n’y a pas autant de marques. On a coutume de dire que 90 à 95% du marché de la joaillerie n’est pas entre les mains des grands acteurs établis, comme le sont Cartier, van Cleef & Arpels ou Piaget.

La Chine, un facteur de risque pour Richemont ? Quel est l’impact réel pour vous de la campagne de moralisation en cours dans le pays avec son incidence sur les cadeaux, horlogers notamment ?

BF: Cela a eu certes un effet négatif, limité néanmoins. Mais on oublie aussi trop souvent de dire que la classe moyenne fleurit et dispose donc de moyens supplémentaires pour acquérir des produits de luxe, quels qu’ils soient d’ailleurs. Les soubresauts dont vous parlez sont donc compensés par les nouveaux venus qui accèdent à ce marché du luxe. Et surtout ils sont largement compensés par le tourisme d’achat. Ce sont 150 millions de Chinois qui voyageront ces prochaines années dans le monde. Cela dit, la plupart des achats en Chine sont des achats non liés aux cadeaux d’affaires.

RL: Ce phénomène de moralisation s’avère probablement sain. Cette habitude ne pouvait pas durer. S’il y a eu un effet à court terme sur les ventes, l’influence sera positive sur le long terme. Mais l’élément fondamental demeure le facteur démographique et la confirmation de la vision plus ou moins libérale du pays en faveur des entreprises privées. Donc, la création de valeur et de richesse va se poursuivre sauf accident. Une croissance du PIB chinois de 8%, 7% ou 6%, cela reste phénoménal. Comment ne pas être optimiste dans ces conditions si cela devait se poursuivre plusieurs années !

Il n’y a donc pas lieu de s’inquiéter ?

RL: L’appétence et la désirabilité pour les produits de luxe conçus et fabriqués en Europe demeurent intactes. Et pour longtemps. Notamment par le biais du tourisme d’achat. Comme cela s’était produit pour les Japonais à l’époque. La différence, c’est qu’on parle ici d’un facteur dix fois supérieur.

Le luxe n’est pas encore réellement présent en Afrique. Pourquoi ?

RL: C’est le continent qui est en train d’exploser au niveau économique. Qui dispose du plus grand potentiel à court terme. Il y a vraiment des choses qui se passent dans cette région, avec un milliard d’habitants et bientôt deux milliards.

BF: Ce continent s’éveille enfin et il faut rester à l’affût. Cela ne veut pas forcément dire que nous allons ouvrir une boutique Cartier demain matin au Nigéria ou en Angola. Mais le moment n’est plus aussi lointain que cela. Il existe toujours un risque pour les pionniers que nous sommes, notamment sur les nouveaux marchés, mais aussi une prime pour le premier arrivé.

En cette année du cheval dans l’horoscope chinois, quels seront globalement vos étalons stratégiques ? Quelles sont vos priorités ?

BF: Toujours continuer de gérer nos maisons dans une perspective d’éternité. C’est-à-dire continuer à les construire, les développer, les respecter, et par-dessus tout poursuivre dans l’innovation. On continue donc sur la même ligne. C’est un modèle d’affaire qui nous ressemble bien et qui nous a plutôt réussis jusqu’ici.

Mais encore ?

BF: La distribution doit arriver à un niveau d’excellence, que ce soit dans nos propres boutiques ou auprès des détaillants. Il faut qu’ils deviennent encore davantage des partenaires, qu’ils nous aident à construire nos marques et de projeter cette image sur le point de vente. Il est vrai, et je pèse mes mots, que l’on est devenu nettement plus sévères sur la qualité de nos partenaires.

Certains ne sont donc encore pas à la hauteur…

BF: Oui c’est vrai.

RL: C’est un travail permanent d’ajustement. Certains détaillants n’investissent plus et il convient de corriger le tir. D’autres s’améliorent a contrario. Mais, globalement, nous sommes satisfaits. Pour preuve, notre réseau s’inscrit dans la stabilité. D’ailleurs, c’est une grande stabilité qui prévaut dans l’ensemble du groupe. Comme dans le management, les employés, les marques, et c’est grâce à cette stabilité que l’on peut développer l’esprit de famille et la culture de marque, qui fait que chacune de nos entreprises est devenue une Maison.

BF: D’ailleurs, nous privilégions toujours des recrutements et des promotions à l’interne pour les grands postes disponibles. Comme nous venons de le faire chez Jaeger-LeCoultre, Van Cleef & Arpels ou Montblanc.

Stabilité certes, mais beaucoup de rumeurs ont circulé ces dernières semaines sur d’éventuelles cessions de marques. Qu’en est-il réellement?

RL: Notre actionnaire de référence Johann Rupert a été très explicite à ce sujet. Richemont ne va céder aucune de ses marques. Cela n’est pas du tout prévu.

BF: Sur un autre registre, il est vrai que les maisons qui vont un peu moins bien ont été réorganisées, repositionnées, afin de mieux rebondir.

Et à l’inverse, visez-vous des rachats de marques ?

RL: Le Management est rémunéré pour créer de la valeur, du goodwill. Pourquoi dépenser de l’argent pour en racheter ailleurs? Pourquoi s’emparer par exemple à un prix contenant un fort goodwill d’une marque de joaillerie, alors que nous avons tant d’expertise à l’interne avec Cartier, Piaget ou Van Cleef & Arpels ?

BF: Dans toutes les maisons de Richemont, le potentiel de croissance demeure encore très important, énorme.

RL: Une politique d’acquisitions à prix d’or est de plus contraire aux intérêts des actionnaires sauf à représenter un intérêt stratégique. Cela occasionne forcément une dilution de la valeur. La priorité est vraiment de se concentrer sur la croissance organique de nos marques quand vous possédez déjà un portefeuille de marques d’une telle qualité comme c’est le cas de Richemont.

Certaines de vos maisons, comme Lancel ou Baume & Mercier, semblent toujours être dans le rouge. Est-ce vraiment le cas ?

BF: Nous ne communiquons pas sur les performances par maison.

L’an dernier vous avez créé 800 emplois en Suisse. Avez-vous encore besoin d’accroître vos effectifs, vos capacités de production ?

BF: C’est toujours un signal positif.

RL: Les investissements industriels vont se poursuivre, avec 300 millions d’investissements prévus cette année en Suisse, notamment pour augmenter la capacité de production de chacune de nos Maisons, intégrer de nouveaux métiers à nos structures. De très nombreux projets sont en cours ou juste achevés, comme à Neuchâtel pour Panerai, Plan-les-Ouates pour Vacheron Constantin et Piaget, Meyrin pour Stern et Van Cleef & Arpels ou encore pour Cartier à Couvet et au Locle.

Et l’emploi?

RL: Si nous construisons des usines, nous devons recruter de la main d’œuvre ! On peut préciser qu’à fin 2013 nous étions 8252 employés en Suisse. Il s’agit de 30% de nos effectifs globaux. Ce qui est énorme pour une multinationale basée en Suisse. La valeur ajoutée est donc créée dans ce pays. Pour donner une idée de ce développement, de 2009 à 2013, le nombre de nos collaborateurs en Suisse a augmenté de 30%.

BF: Même nos activités joaillères se sont renforcées en Suisse, pourtant patrie par excellence de l’horlogerie. Comme le démontre le projet de Cartier au Locle, où nous avons trouvé un bon terrain finalement.

Qu’allez-vous faire de la montagne de cash dont le groupe dispose, qui s’élevait à fin 2013 à 4,3 milliards d’euros ? Un rachat d’action significatif ?

BF: Ne vaut-il pas mieux en avoir beaucoup que pas du tout ?

RL: Cette décision relève du conseil d’administration et des actionnaires. On peut toutefois dire que le dividende a été augmenté sensiblement l’an dernier et que, bon an mal an, cette politique d’amélioration se poursuivra probablement au vu des performances de Richemont et de sa solidité financière.