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Les vendeuses chinoises des Galeries Lafayette

December 2012


Profession : vendeuse de montres aux Galeries Lafayette. Origine : chinoise. La vendeuse chinoise de montres est une redoutable arme commerciale. Qui plus est dans cette enseigne mythique du boulevard Haussmann, à Paris, visitée chaque jour par des centaines de touristes chinois ne parlant pas français, ni anglais d’ailleurs, ou très rarement. Ils ne sont pas venus dans la Ville Lumière pour s’exercer dans une langue qui n’est pas la leur, mais pour admirer ses joyaux et consommer. C’est là que les vendeuses chinoises entrent en jeu.

Xiaoting officie au stand Swatch du département “montres”, situé au rez-de-chaussée du grand magasin, qui célèbre cette année les 100 ans de sa coupole de style Art nouveau et le fait savoir à la Terre entière. La jeune femme est en poste depuis un mois seulement. “J’ai fait des études de commerce international et je suis mariée à un Français, explique-t-elle. Avant, j’habitais Nancy (Est de la France, ndlr), mais pour le travail, ce n’était pas l’idéal.” Une quinzaine de vendeuses, chinoises comme elle, sont présentes sur les points de vente horlogers des Galerie Lafayette. Toutes ne maîtrisent pas le français aussi bien que Xiaoting. Mais parler couramment la langue de Molière n’est pas non plus ce qu’on leur demande. Les postes sont au minimum doublés, avec un clair partage de la clientèle cible. Aux Chinoises, les Chinois. Elles sont fort occupées. Les touristes de l’Empire du Milieu représentent 80% des acheteurs, et contribuent pour 60 à 70% au chiffre d’affaires du pôle « montres » du magasin, selon un vendeur français.

Les vendeuses en question reçoivent une formation d’un jour ou deux, délivrée par leur employeur. Le Swatch Group les initie aux rudiments du vocabulaire horloger en son siège, avenue Kléber, dans le 16e arrondissement de Paris. Mais l’essentiel s’apprend sur le tas. Elles apprennent vite, et à première vue, se débrouillent plutôt bien. Automatique, quartz, mécanique : la Chinoise de chez Hamilton possède la nomenclature de base. Chez le concurrent Tudor, une marque développée par Rolex, sa compatriote détaille les différents métaux et ornements : or, acier et diamant. Et précise : “Deux ans de garantie internationale.”

Les vendeuses chinoises des Galeries Lafayette

Les clients chinois vont droit au but. “Ils savent quelles montres ils veulent, ils ne sont pas exigeants comme les clients français”, dit Xiaoting avec un sourire entendu. Son jeune collègue français ajoute : “La plupart d’entre eux paie en espèces, jusqu’à 2000 euros. Ils veulent juste savoir si la montre peut aller dans l’eau.” L’acheteur chinois n’est pas là pour rêvasser sur des modèles. Dehors, le car du tour-opérateur l’attend. Il agit bien souvent en service commandé, porteur d’une liste d’achats à honorer. D’achats de montres, parfois jusqu’à six ou sept, bien entendu “swiss made”, signes de prestige social à Shanghai ou Chengdu.

Pour un Chinois, se fournir en montres en Europe plutôt que dans son pays présente des avantages : l’Europe, en l’espèce Paris et les Galeries Lafayette, sont gage d’authenticité des produits, davantage qu’en Chine, réputée pour sa propension aux contrefaçons ; la Chine, ensuite, applique des taxes relativement élevées sur le luxe. Le stand de montres le plus visité aux Galeries Lafayette est, paraît-il, celui de Longines, “le troisième spot de vente de la marque dans le monde”, assure un vendeur. Le fabricant de Saint-Imier peut dire merci à la clientèle extrême-orientale.

Le phénomène de la vendeuse chinoise est tout aussi visible dans la zone « luxe » du magasin. Chez Louis Vuitton, une James Bond Girl aux yeux bridés, quatre ans de fidélité à la marque, dix ans de présence France, se partage entre la vente de montres et celle de sacs de la même griffe, dont le succès auprès de la clientèle asiatique n’est plus à démontrer. Comme tout étranger extracommunautaire, ces agents féminins du Pays du dragon, si utiles au commerce extérieur européen, sont soumis à des contingences. “Dès lors que la vendeuse chinoise fait son travail avec sérieux, on peut l’aider à obtenir une autorisation de séjour de longue durée en France”, confie-t-on chez Chopard.

Le point de vente du fabricant français Michel Herbelin ne s’est pas encore mis à l’heure chinoise. Mais, sur place, on y songe. « Il est question qu’on prenne des cours de chinois pour accueillir la clientèle chinoise, des mots techniques mais aussi des mots pour guider les clients dans le magasin, révèle une vendeuse. Nous préférons nous former plutôt que d’engager une Chinoise, cela nous permettra de garder notre personnel. » Le modèle “Newport Watch Club” de la marque franc-comtoise a été cet automne porté aux nues par le ministre français du redressement productif, Arnaud Montebourg, homme-sandwich de la reconquête du “made in france”. Comment dit-on “incorrigibles Français” en chinois ?

Source: Europa Star Première Vol.14, No 6

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