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La planète horlogère suisse en mouvements – 2ème partie

L’explosion des mouvements manufacture

November 2010


Dans la première partie de notre vaste enquête sur les offres de mouvements mécaniques en Suisse (Europa Star 4/10), nous avons examiné les nouvelles initiatives visant à se substituer progressivement à l’offre d’ETA ainsi que les verticalisations en cours de grandes marques, à l’image de Cartier ou de TAG Heuer.
Nous poursuivons ici en examinant de plus près d’autres initiatives de marques cherchant à maîtriser à l’interne tout ou partie de leur approvisionnement en mouvements mécaniques

“Il faut mettre un terme au supermarché horloger”
C’est en ces termes exacts qu’interrogé par Bastien Buss (Le Temps, 4 septembre 2010) deux mois après la mort de son père, Nick Hayek, directeur et administrateur du Swatch Group désormais présidé par sa soeur Nayla, répétait sa détermination à “cesser de livrer certains de nos concurrents qui puisent sans vergogne dans notre outil industriel et qui flouent les consommateurs”. Et d’affirmer avec vigueur que ces marques, “non seulement mentent à leurs clients mais qu’il existe un trafic de mouvements ETA entre les marques, une sorte de marché parallèle qui ouvre la porte à toutes sortes d’abus.” Pour étayer sa démonstration, Nick Hayek prenait l’exemple d’un mouvement Valjoux, fabriqué par ETA et revenu au service après-vente avec “pas moins de quatre inscriptions codées d’autres marques horlogères, hors Swatch Group, dont certaines sont très connues du public...”. Des ébauches, vendues et revendues par des sous-traitants et des marques.
La menace de l’arrêt de fourniture de mouvements par ETA se précise donc sérieusement même si, comme le dit Nick Hayek lui-même, “cela prendra peut-être du temps mais nous avons bon espoir de parvenir à un accord avec la COMCO [ la commission suisse de surveillance de la concurrence ].”
Le temps, c’est exactement ce dont ont besoin les maisons horlogères qui se sont lancées dans l’aventure d’un mouvement in-house capable de remplacer les increvables tracteurs ETA ou Valjoux.
Impossible de faire le tour vraiment complet, comme nous nous étions promis de le faire, car c’est littéralement chaque jour ou chaque semaine, que de nouvelles initiatives en ce domaine sont annoncées – avec plus ou moins de véracité.
Nous allons donc examiner ci-dessous quelques unes de ces initiatives parmi les plus sérieuses et qui ont en commun d’arriver presque toutes à maturité cet automne.

L’UNICO DE HUBLOT

Avec sa fougue habituelle, Jean-Claude Biver nous détaille sa stratégie en termes de mouvement, rappelant en préambule que “pour vendre de l’irrationnel – car l’horlogerie c’est aujourd’hui quelque chose d’irrationnel, l’heure étant partout – il faut du rationnel, de la substance. Et c’est cette substance que nous mettons en scène pour créer le rêve. Or, sans rationnel, pas d’irrationnel.”
Le “rationnel”, la “substance”, c’est bien entendu le mouvement et, dans ce domaine, Jean-Claude Biver veut marquer des points, rapidement certes, mais rationnellement.
“Notre propre mouvement, l’Unico, a été conçu et construit pour être totalement interchangeable avec le chronographe Valjoux 7750 qui depuis 2005 équipe nos chronographes Big Bang. Cette compatibilité est totale: mouvement, cadran, boîte, aiguilles tout est à 100% interchangeable et qu’on loge dans nos pièces un Valjoux ou un Unico ne change strictement rien, que ce soit pour nos stocks, qui n’ont pas besoin d’être adaptés ou pour notre service après-vente. Cette standardisation – qui est aussi valable pour nos tourbillons tous gabarisés – apporte des avantages en termes de rentabilité interne et nous donne une réactivité immédiate.”

La planète horlogère suisse en mouvements – 2ème partie

Partie chronographe sur le dessus
Ceci dit, l’Unico, pour être interchangeable avec le Valjoux, n’en est pas moins fort différent dans sa conception (celle du Valjoux remonte à 1974) et n’est en rien un clone de celui-ci (contrairement au Valjoux, l’Unico comporte une roue à colonne). Mais sa principale caractéristique architecturale réside dans le fait que la partie chronographe du mouvement, y compris la roue à colonne, est placée sur le dessus du mouvement, et non pas sous la masse oscillante qui le dissimule en partie. Cette caractéristique a une raison, fondamentale aux yeux de M. Biver: “à l’avenir, un des freins à la contrefaçon pourrait être l’absence ou le squelettage du cadran, car si on voit le moteur, il faut donc être capable de le copier, ce qui n’est pas une mince affaire.”
Techniquement, l’Unico qui comporte moins de pièces que le 7750, a été d’emblée conçu pour être industrialisé, à un rythme soutenu de 10’000 à 15’000 pièces par an. Comme l’explique à Europa Star son constructeur, Christophe Lyner, c’est la simplicité et la robustesse qui ont été recherchées, en vue d’une fiabilité optimale mais aussi pour faciliter au maximum le montage des 150 pièces dont certains éléments prémontés (pour un total d’environ 445 composants, y compris goupilles, vis, etc...). De même l’absence de sautoir fait que les horlogers-monteurs n’ont pas d’indexation à effectuer.
Parmi les diverses particularités de l’Unico – un 4Hz d’un diamètre de 30mm pour une épaisseur de 8,05mm, et >70 heures de réserve de marche – notons son double embrayage (pour une diminution des sources possibles de panne), un automatisme sur roulement à billes céramique avec système Pellaton (pour un meilleur rendement de remontage, qui s’effectue dans les deux sens) et un pont d’échappement amovible et donc intégralement interchangeable (comme chez Moser & Cie, pour une facilité du SAV international) avec un assortiment traditionnel – qui équipera les premières 1000 pièces – ou un assortiment avec ancre et roue d’ancre en silicium (un ressort-spiral en silicium est aussi à l’étude). Autres caractéristiques notables, un balancier à inertie variable en nickel-phosphore LIGA, plat, facile à fabriquer et à équilibrer, un quantième semi-instantané sur disque Mimotec, dont les chiffres en relief semblent flotter tout autour du cadran (un quantième sur saphir est aussi à l’étude), un affichage traînant, une fonction fly-back, un double embrayage horizontal et un dispositif stop seconde.
Totalement intégré, l’Unico conserve cependant une modularité qui, selon son constructeur, permettra dans l’avenir d’y intégrer d’autres fonctions, à la place ou “par-dessus” la fonction chronographique. Comme le dit Jean-Claude Biver, “nous avons essayé de faire mieux que ce qui existait auparavant, plus fiable, plus précis car à quoi aurait-ce servi de faire moins bien?”. Qu’en pense son constructeur? “Il est plus simple que le 7750 et je pense qu’il sera plus solide et plus fiable...du moins dans 30 ans, ça c’est sûr”, ajoute-t-il en souriant car l’horloger sait bien que la qualité d’un mouvement s’expérimente véritablement sur la durée.

La planète horlogère suisse en mouvements – 2ème partie HUBLOT’S KING POWER with UNICO movement

Premières livraisons fin 2011
Annoncé pour la fin de l’année, l’Unico, qui a, convenons-en, belle allure sous son uniforme intégralement traité ruthénium noir, est en phase “pré-industrielle” et sa production va graduellement monter en puissance.
Un atelier de montage d’une trentaine de postes est en cours d’installation. Ultra-moderne, l’atelier dispose ainsi de robots d’huilage – lubrification par doseurs à air comprimé – ou d’instruments de contrôle qualité perfectionnés, il est divisé en postes effectuant chacun quelques opérations par lots de 20 à 50 pièces.
L’essentiel de la fabrication et du traitement des composants – décolletage, usinage, galvano - se traite en interne dans un parc de machines et d’équipements flambant neuf.
Au total, on estime l’investissement dans l’Unico à 3 millions de CHF.

La Confrérie Horlogère Hublot
Sans revenir dans le détail sur la chute de BNB, rappelons qu’Hublot, qui était son principal client, en a racheté, avant que la faillite soit prononcée, les mouvements, les stocks, quelques brevets et repris 30 horlogers. Puis, après faillite, Hublot a racheté les leasings des machines qu’elle a rapatriées sur son site. Mathias Buttet, le patron de l’ex BNB est donc arrivé chez Hublot avec armes et bagages, machines et outils ainsi que 28 horlogers maîtrisant dix métiers – dont chimiste, décolleteur, constructeur, etc... – soit une véritable manufacture dans la manufacture.
Hublot s’est donc dès lors scindé en deux parties pour produire deux types de mouvements différents: l’Unico d’un côté et de l’autre les pièces de haute horlogerie pour Hublot – essentiellement tourbillons, répétitions minute, quantième perpétuel – et les pièces d’exception de ce qui se nomme désormais la Confrérie Horlogère Hublot. Ces dernières pièces “ne sont pas directement issues de l’ADN de Hublot”, comme le dit lui-même Jean-Claude Biver, mais lui confèrent une légitimité horlogère indéniable dont la marque profite dans son ensemble. Sans parler des nombreuses interactions et synergies qui se développent entre les deux unités distinctes, un peu comme si Hublot disposait à présent d’un super département de recherche et développement produisant non pas des travaux “théoriques” mais réalisant intégralement des concepts horlogers novateurs.
Parmi ces concepts, Europa Star a pu voir deux pièces véritablement exceptionnelles qui devraient être présentées à Bâle cette année: la déjà célèbre Clé du Temps, ce mouvement à vitesse variable dont l’habillage et le design ont été totalement revus et, une pièce réellement ahurissante, sur laquelle nous reviendrons le plus rapidement possible, inspirée par la mystérieuse et fascinante Anticythère, cette “machine astronomique”, datant d’il y a plus de 2000 ans, la plus ancienne machine à engrenages au monde, témoignant d’un savoir-faire inouï, et retrouvée en 1900 dans les fonds marins d’une petit île grecque qui lui a donné son nom.

ZENITH, EL PRIMERO EN TETE

Le célébrissime mouvement El Primero est un véritable phénix, qui ne cesse de renaître de ses cendres et de redéployer ses ailes.
Conçu en 1969, El Primero, un des quatre premiers mouvements chronographe automatique (qui sont tous sortis en même temps) mais le seul vibrant à 36’000 alternances/heure, a bien failli disparaître définitivement en 1975 quand les propriétaires d’alors, la compagnie américaine Zenith Radio Corporation, décida de passer intégralement au quartz et d’envoyer tout l’outillage et les machines à la casse.
Si Charles Vermot, un horloger de Zenith qui ne pouvait pas se résoudre à voir ce trésor jeté aux ordures, n’avait pas décidé, seul contre tous, non seulement de conserver dans un classeur tous les plans et procédures de fabrication mais aussi d’étiqueter méticuleusement tous les outils et les machines et de les cacher dans le grenier de la manufacture, El Primero ne serait aujourd’hui plus qu’un beau souvenir, une page glorieuse des livres d’histoire.
Mais 9 ans plus tard, en 1984, le nouveau propriétaire d’alors, Paul Castella, fit ressortir tout cet outillage et relança la production du chronographe automatique le plus “battant” au monde, avec ses dix vibrations par seconde, soit 36’000 alternances/heure, au lieu des traditionnelles huit vibrations par seconde.
En 2000, Zenith est rachetée par le groupe LVMH qui décide alors de réserver son célèbre mouvement à la marque seule et de ne plus le livrer aux autres marques, telles que notamment Rolex, dont le modèle Daytona en était équipé (aujourd’hui seule TAG Heuer, autre marque LVMH, reçoit des El Primero).
Nommé à la tête de la marque pour en assurer la renaissance, Thierry Nataf, premier CEO de l’ère LVMH, a eu le mérite essentiel de braquer à nouveau les projecteurs sur Zenith. Mais sa boulimie créative, la sortie incessante de nouveaux modèles et de nouvelles lignes a quelque peu dilué le message. Dans cette agitation médiatique, l’importance et les qualités exceptionnelles du mouvement El Primero se sont quelque peu noyées sous un grand nuage bling bling.

La planète horlogère suisse en mouvements – 2ème partie EL PRIMERO 1969, EL PRIMERO 36’000

Avec la nomination en juin 2009 de Jean-Frédéric Dufour on assiste à un très rapide retour aux sources. Passant de quelques 800 références à 50 références (112 avec l’autre mouvement manufacture, le mouvement Elite), Jean-Frédéric Dufour a fait le ménage de façon à ce que le El Primero redevienne le coeur battant de Zenith, au centre de toutes les attentions de la marque qui entend désormais pleinement capitaliser sur son glorieux passé de manufacture. Et ça marche, selon les dires de Jean-Frédéric Dufour, plutôt très bien même car depuis décembre 2009, la marque enregistre une croissance de 50% et est désormais “dans les chiffres noirs”, avec une production que l’on peut estimer sans grand risque à environ 25’000 pièces par an.

Montrer enfin le dixième de seconde
La démonstration la plus pertinente de ce retour en force du mouvement El Primero est la sortie, à Bâle 2010, du déjà fameux El Primero Striking 10th qui, tout “naturellement” si l’on peut dire, affiche la performance du mouvement qui, avec ses 36’000 alternances/heure, impose à son aiguille chronographique dix sauts par seconde (une heure se décomposant en 3’600 secondes). Une particularité qui, jusqu’alors, n’avait jamais été transformée en indication au 10ème de seconde visible sur le cadran. (pour les précisions techniques de la réalisation de cet affichage unique au monde, lire Europa Star 3/10 ou taper El Primero Stricking 10th dans le Search de notre site www.europastar.com)
Cette pièce véritablement emblématique du retour aux sources opéré par J.-F. Dufour (qui va de pair, soit-dit en passant, avec une modération du prix des pièces, l’offre El Primero commençant à 5’600.- CHF) vient compléter une gamme El Primero désormais riche d’une dizaine de modèles de chronographes avec, dans le désordre, outre le modèle de base, une rattrapante, un fly-back, l’amusante Retrotimer avec son affichage 8 minutes (“pour cuire les pâtes”, sourit J.-F. Dufour), un triple quantième, un quantième perpétuel, une répétition minutes, un tourbillon, une heure universelle avec réveil (Multicity Alarm), voire la Grand Class Traveler, avec ses 800 composants, ou, surprise à venir la très étonnante Colomb sur laquelle nous reviendrons dans notre prochain numéro.

Remodeler la manufacture
Toujours installée dans ses locaux, certes historiques, avec leurs couloirs, leurs étages et leurs passerelles, mais bien peu adaptés aux exigences d’une production moderne, la manufacture se voit peu à peu transformée, avant de plus importants travaux qui devraient marquer le 150ème anniversaire de la marque en 2015.
Mais pour l’instant, c’est dans ce dédale, au charme certain – où travaillent à présent 250 personnes et où, au cours de l’histoire, ont été créés pas moins de 180 calibres différents et 515 variations de mouvements - que se fabriquent les calibres maison dont 100% des montres Zenith sont équipées. Sur les 356 composants d’un mouvement El Primero, 280 sont ainsi faits sur place, et l’intégralité y est assemblée.

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A l’image du parcours d’une montre dans ces locaux, la visite se fait dans le désordre, si l’on peut dire, en partant certes du département de développement des mouvements, où travaillent côte à côte constructeurs, dessinateurs techniques et horlogers-prototypistes. Si le décor est vieillot, les instruments, notamment de contrôle et de mesure, sont du dernier cri. A l’exemple de cette caméra à haute vitesse (30’000 images par seconde) où de ces bancs-test Witschi de dernière génération, spécialement développés pour contrôler les performances très spécifiques d’un mouvement battant à 36’000 alternances. Partout où l’on passera, que ce soit au département produits qui regroupe tous les composants, dans les ateliers d’ébauche où est aligné un parc de CNC qui tournent à présent en 3x8 sept jours sur sept, dans ceux où s’effectue la découpe des petits composants, dans les ateliers de mécanique où se fabriquent toutes les étampes et les outils employés, au pré-assemblage ou à l’assemblage comme à l’emboîtage ou dans le département haute horlogerie (tourbillons, quantièmes perpétuels, répétitions minute) on pourra constater la multiplication des points de contrôle, de test et de réglage: en tout 60 points de contrôle, y compris l’habillage.
Jean-Frédéric Dufour insiste particulièrement sur ce point: “L’authenticité facilite la vie,” dit-il, “car elle permet de se regarder chaque matin dans le miroir. Cette authenticité, qui présuppose une qualité optimale, une fiabilité, une précision, donc la multiplication des contrôles et des vérifications, est dans les gènes même de la marque. Depuis ses débuts, les clients de Zenith ont été des gens qui recherchaient avant tout cette précision et ces performances. La plupart, historiquement, étaient des pionniers dans leur domaine, comme en témoigne notre livre d’or, où l’on peut lire des messages d’un Admundsen, d’un Blériot, d’un Albert 1er de Monaco partant pour ses explorations océanographiques ou de capitaines d’industrie. Nous devons être à la hauteur de cette histoire, à la hauteur des 2333 prix d’Observatoire récoltés, des 297 brevets déposés par la maison. Avec cette exigence de précision et de fiabilité primordiale pour nous, la décoration de nos pièces ne représente que le 5% à 10% de leur valeur, alors que chez certaines marques, cette part grimpe parfois jusqu’à 50% de leur valeur. Car je crois, avec d’autres, comme Rolex, par exemple, que l’excès de décoration est parfois l’ennemi de la précision. Par exemple angler à la main, aussi habile soit-elle, un acier qui sort d’une CNC réglée au micron peut être un non-sens, une source de perturbations de la précision que nous recherchons avant tout.”

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La “belle endormie” est en plein réveil
Le retour de Zenith à ses fondamentaux semble donc bien engagé. Au détour d’un couloir, Jean-Frédéric Dufour nous entraîne à travers une salle retirée, qui semble presque à l’abandon. A sa suite, on grimpe des escaliers et on arrive dans un grenier. “Regardez! Vous êtes le premier journaliste à y pénétrer...”. Dans une atmosphère à la Harry Potter, sur des rayonnages, sagement étiquetés, dorment tous les outils et toutes les étampes qui ont façonné la longue histoire de Zenith. Un véritable trésor qui ne demande qu’à revivre.
Parmi tous ces casiers de bois recouverts de poussière, J.-F. Dufour nous montre un casier vide: c’est là que dormaient, en cachette, les outils et les ébauches qui ont permis la renaissance du El Primero. Et des casiers de ce genre, il y en a des dizaines et des dizaines! La “belle endormie” est en plein réveil.

LES PREMIERS PAS DU CALIBRE 168 DE BULGARI

L’opération Calibre 168 (nommé ainsi car il est doté de 168 composants) a véritablement commencé pour Bulgari en 2007, date à laquelle la marque romaine a acheté les machines, les outils de production et la propriété intellectuelle nécessaires à la réalisation de son premier calibre maison. Le but essentiel de cette opération: “non pas réinventer la roue”, comme le dit Guido Terreni, le directeur opérationnel de la Watch Business Unit de Bulgari, “mais d’une part se doter en interne et maîtriser pleinement la fabrication d’un tracteur de base, d’un moteur qui puisse évoluer, et, ce faisant, acquérir une part supplémentaire de légitimité horlogère.”
En parallèle au programme Calibre 168, cette acquisition progressive de légitimité horlogère est passée par toute une série d’investissements et d’acquisitions complémentaires, à commencer bien-sûr par celle de Roth et de Genta, en 2000, qui a permis “l’accroissement et le renforcement de la culture horlogère au sein du groupe” bien que jusqu’à l’année dernière ces deux unités n’aient pas été directement intégrées dans la production Bulgari.
En 2005, c’est au tour de Cadran Design de passer dans l’escarcelle du groupe. Cadran Design, qui réalisait déjà tous les cadrans, souvent fort complexes, de Roth et de Genta, est détenteur d’un savoir-faire hors pair. Dans cette optique d’acquisition progressive des savoir-faire nécessaires à la réalisation complète d’une montre, la même année Bulgari acquiert également Prestige d’Or, une maison jurassienne spécialisée dans la fabrication de bracelets et de boucles. Enfin, en 2007, c’est le boîtier Finger qui est acquis, un spécialiste des boîtes très compliquées, techniques et à haute valeur ajoutée, telle que, par exemple, le boîtier à 104 composants de la Diagono Sport à trois fuseaux horaires.

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Un “tracteur”
Le cahier des charges qui a présidé à la naissance du Calibre 108 précisait d’emblée que le groupe voulait créer un calibre de base à remontage automatique simple, “pragmatique et évolutif”, doté d’un couple suffisamment puissant pour pouvoir accueillir par la suite divers modules à complication. Autres exigences, ce calibre devait être conçu et construit pour assurer une performance chronométrique optimale et être produit industriellement, dans des volumes dits “conséquents” (quelques milliers de pièces).
Les plans de ce mouvement 11,5’" lignes, d’un diamètre d’encageage de 25,60mm pour une épaisseur totale de 4,75mm existaient mais n’avaient jamais été réalisés. Ce sont ces plans, cette propriété intellectuelle que Bulgari a rachetée pour la mettre en oeuvre en interne.
Grâce à son nouvel appareil de production, l’intégralité des composants internes du calibre sont produits par Bulgari, à l’exception de l’assortiment (Nivarox), du ressort de barillet et des pierres.
En prévision de la robustesse et de la rigidité de ce mouvement à l’architecture et aux finitions très classiques, destiné, rappelons-le, à recevoir dans le futur des plaques additionnelles, les ponts et la platine sont taillés dans du maillechort, un alliage de haut de gamme très résistant, dur et complexe à travailler. Le pont de balancier, qui est traversant, assure également ainsi stabilité de marche et rigidité au balancier.
Par ailleurs, ce mouvement de 4Hz, soit une fréquence de 28’800 alternances/heure, possède un système de remontage par masse oscillante bidirectionnel et offre les traditionnelles 42 heures de réserve de marche. Il est aussi équipé d’un dispositif de débrayage du remontage automatique lors du remontage manuel, atténuant les risques d’usure prématurée du rouage. Dans sa version actuelle, il arbore des finitions d’un grand classicisme (platine et pont d’ancre perlés, pont de 3/4 en Côtes de Genève, tambour de barillet colimaçonné, pourtour des ponts anglés). Par ailleurs, il affiche heures, minutes, secondes et une date centrale par aiguille à saut instantané qui lui confère une identité caractéristique.
Pour sa première sortie sous les projecteurs, il anime la nouvelle collection Sotirio Bulgari qui, dans sa version acier, se vend au prix de 6’500.-CHF.

La planète horlogère suisse en mouvements – 2ème partie Guido Terreni, mouvements Bulgari/Gérald Genta and Bulgari/Daniel Roth

Montée en puissance progressive
Aujourd’hui, Bulgari finalise les premières pré-séries avant une montée en puissance industrielle qui devrait démarrer dès début 2011. “Quelques milliers de pièces” vont être produites dans un premier temps, histoire de “tâter le terrain” comme le dit Guido Terreni.
Autre volant d’action, toujours dans le domaine des mouvements mécaniques, l’intégration des deux marques du Sentier – Roth et Genta – dans une offre spécifiquement siglée Bulgari/ Daniel Roth ou Bulgari/Gérald Genta.
Cette intégration, qui avait, à l’époque, été vivement critiquée par les puristes, a semble-t-il, été “bien reçue par le grand public”. Guido Terreni défend avec vigueur la pertinence de cette intégration qui a permis, selon lui, de “sortir ces deux marques de leur niche” et de “défendre cet exceptionnel patrimoine de savoir-faire à travers toute la puissance du groupe Bulgari”. Désormais, ce qui n’était pas le cas auparavant, ces deux collections particulières sont présentes et vendues dans les nombreux flagship de la marque.
Mais, pour l’instant du moins, le Calibre 168 ne va pas motoriser les complications de Roth et Genta qui sont toujours animées par des calibres Girard-Perregaux et Frédéric Piguet, à l’exception des grandes complications (telle que la Grande Sonnerie, par exemple) réalisées intégralement à l’interne par les 70 employés du Sentier.

LA FAMILLE CALIBRE 38 D’ETERNA

A la base de la naissance du nouveau Calibre 38, ou, plus précisément, de la nouvelle famille des Calibres 38, on trouve un constat: Eterna est une marque qui vend environ 25’000 montres par an mais qui désire offrir à ses consommateurs une large variété de mouvements manufacture, sans pour autant devoir repenser intégralement chacun de ces mouvements (avant l’introduction du Calibre 38, les mouvements in-house comptaient pour environ 15% à 20% de l’offre, soit de 4’000 à 5’000 mouvements, mais ce pourcentage devrait augmenter très significativement dès l’introduction du Calibre 38).
Dans ce contexte, le Calibre 38 a donc été pensé, de façon très astucieuse et intelligente, comme une plateforme à base manuelle, dotée d’un barillet volant sur roulements à billes (le fameux système Spherodrive créé par Eterna) qui, avant ajout du pont de barillet, est intégralement montée et réglée.
Dès lors, cette plateforme, ce socle pourrait-on dire, peut se prêter à une impressionnante série de variations, facilement effectuées.
Avec le simple ajout du pont de barillet, le Calibre 38 se transforme ainsi en Calibre 3810, un trois aiguilles manuel, avec petite seconde à 9h.
Doté d’un autre module, il devient le 3820, un Calibre à trois aiguilles avec seconde au centre. Le 3821 voit l’adjonction d’un calendrier, le 3822, celle d’une aiguille de 24h pour un second fuseau horaire, le 3823 devient un calendrier avec date indiquée par aiguille centrale... et ainsi de suite.
Le Calibre 3840, avec petite seconde, devient un mouvement automatique par simple adjonction d’un système d’automatisme, le Calibre 3850 est identique mais avec une seconde au centre.
Dans tous ces cas, il ne s’agit pas de plaques additionnelles mais bel et bien d’une intégration dans le mouvement. Par contre l’adjonction de plaques additionnelles va permettre, à l’horizon 2012, 2013, la création du 3830, un chronographe manuel et du 3860, un chronographe automatique.
Dans cette conception assez formidable, reconnaissons-le, la base ne change jamais, “pas une seule vis”, déclare fièrement Patrick Kury, le directeur technique d’Eterna, qui précise que “les systèmes modulaires sont toujours ajoutés côté mouvement”, le pont de barillet étant “à disposition” si l’on peut dire ainsi, car “le barillet volant du Spherodrive est déjà intégré dans la base. Nul besoin donc de changer de platine à chaque adaptation, le mouvement de base ne bouge plus”. Une conception qui, de toute évidence, offre de grands avantages aussi en termes de production.
En outre, que ce soit dans sa version manuelle ou automatique, ce mouvement de 30mm de diamètre et d’une hauteur de 5,9mm en manuel ou de 7,5mm en automatique (ce dernier chiffre n’est pas encore définitif), possède une grande réserve de marche à peu près identique, soit 76 heures en mode manuel ou environ 72 heures en mode automatique.

La planète horlogère suisse en mouvements – 2ème partie Quatre étapes du montage du Calibre 3510 à deux barillets.

Flexibilité et réactivité
Comme l’affirme Patrick Schwarz (ancien directeur financier de Maurice Lacroix) CEO de la marque depuis 2005, “cette conception particulière nous offre de très grands avantages en termes de compétitivité et de réactivité. Grâce à sa flexibilité, notre gestion des stocks est aussi grandement facilitée, étant donné que nous pourrons facilement jouer avec les différentes combinaisons. En produisant ainsi des mouvements de base, déjà réglés, soulignons-le fortement, il nous est possible de réagir très rapidement, que ce soit en termes de fonctionnalité, de choix entre manuel ou automatique, de seconde centrale ou de petite seconde, en fonction des demandes précises remontant des marchés. Nul besoin donc de produire deux ans à l’avance des pièces qui seront peut-être obsolètes ou passées de mode à leur arrivée dans les vitrines.”
Par ailleurs, économiquement, cette conception est également très avantageuse car elle permet, grâce à sa modularité et sa souplesse, de pouvoir offrir des mouvements manufacture bien en-dessous des prix habituellement demandés. Patrick Schwarz comprend l’attitude actuelle du Swatch Group car "c’est le seul à avoir investi dans la technique et dans l’appareil de production et l’on voit le même moteur ETA être vendu à des prix dont les différences sont énormes. Mais le consommateur, échaudé par la crise, en devient progressivement conscient, même s’il achète avant tout un nom et un visage. Bien des marques se voient à présent contraintes d’envisager la production de mouvements qu’auparavant ils achetaient clé en mains. Et derrière ces décisions, il y a une forte réalité économique, investir dans un mouvement coûte cher et prend du temps, ponctionne de l’argent qui auparavant était consacré à la communication. Avec le 38, et avec le Spherodrive, nous avons pris une longueur d’avance. Nous en sommes très heureux."
La sortie officielle du premier Calibre 38 est prévue pour 2011, sa production démarrant actuellement avec des pré-séries. (NDLR: nous ne pouvons malheureusement pas vous en proposer des illustrations, Eterna se réservant le droit de ne les communiquer qu’au moment de sa sortie).

A l’origine d’ETA
c’est une équipe dédiée qui est en charge de ce projet. La plupart des opérations, soit conception, construction, fabrication des ébauches, des ponts et platines, industrialisation et prémontage, montage, emboîtage sont effectuées sur place. Par contre, taillage, étampage, découpage, décolletage sont sous-traités. L’assortiment provient de Nivarox pour ce mouvement dont il est prévu qu’il sera contrôlé par le COSC.
A la question que nous posons rituellement, “ce mouvement vous est-il réservé ou le vendrez vous aussi à des tiers?”, Patrick Schwarz répond tout aussi rituellement: “dans les années qui viennent il nous sera réservé, mais après, toutes les options restent ouvertes.” On est d’autant plus attentif à sa réponse quand l’on connaît un peu le prestigieux passé mécanique de la marque (notamment à la base de l’invention des roulements à bille pour masse oscillante, en 1948, installée à Granges, tout comme ETA... Car, ne l’oublions pas, ETA est née après la grande fusion de l’ensemble de fabricants suisses d’ébauches (l’ASUAG) qu’Eterna rejoint en 1932, date à laquelle sa division fabrication d’ébauches est renommée pour prendre le nom d’ETA; ETA étant historiquement le nom gravé sur les mouvements Eterna destinés à l’extérieur...

La planète horlogère suisse en mouvements – 2ème partie Les sept mouvements manufacture Eterna :
En haut: à gauche, le Calibre 3030 automatique à grande date et calendrier à saut instantané le plus plat de sa catégorie; à droite le Calibre 3800 au tambour de barillet, bonde et remontoirs sur roulement à bille en céramique.
Au deuxième rang en partant du haut: tout à gauche, le Calibre 3500/3501 rectangulaire à remontage manuel et billes en céramique; au centre, le Calibre 3505 aux barillet et arbre de barillet montés sur roulement à bille; tout à droite, le Calibre 3510 à deux barillets couplés en série et montés sur roulement à bille.
Au premier rang, à gauche, le Calibre 6036 chronographe à quatre barillets et affichage numérique entièrement mécanique développé à partir de l’ETA Valjoux 7750; au centre, le Calibre 6037 GMT développé à partir de l’ETA Valgranges A 07 111 (CR).

LA NOUVELLE BASE DE SCHWARZ ETIENNE

Retenez ce nom: Raphaël Radicchi. Propriétaire de Schwarz Etienne depuis 2008, cet Italien qui a fait fortune dans l’immobilier dans le canton de Neuchâtel s’est entiché d’horlogerie au point d’avoir constitué, sans que personne ne s’en rende vraiment compte, un véritable petit groupe horloger “verticalisé”, capable d’assurer de façon autonome “plus de 85%” des étapes de production d’une montre. Outre Schwarz Etienne, sur laquelle nous allons tout de suite revenir, Raphaël Radicchi contrôle RSM SA, un fabricant de boîtes, bracelets et fermoirs où travaillent près de 30 personnes, RM Horlogerie SA, qui fabrique ponts, platines et toutes pièces de fraisage et Anglex SA qui, comme son nom l’indique, est spécialisée dans la décoration de mouvements. Seuls lui échappent les cadrans, les aiguilles, les glaces, les cuirs et les petites pièces de décolletage.
Fort de cet appareil de production, il s’est lancé avec Schwarz Etienne dans la réalisation d’un original mouvement automatique de base baptisé BSE1325A, qui va venir équiper les modèles de la marque mais qui est aussi présenté comme une alternative aux marques tierces désireuses de varier leurs sources d’approvisionnement en mouvements. Les quantités sont encore modestes – 1’000 mouvements en 2010, entre 2’000 à 3’000 en 2011 – mais les ambitions sont grandes.
Fondée en 1904, Schwarz Etienne a longtemps été une maison reconnue dans le domaine de la fabrication de mouvements et de mécanismes, livrant notamment de nombreuses marques françaises de prestige, jusqu’à ce que la grande crise du quartz vienne mettre un terme à son aventure mécanique. La maison dès lors vivote mais, dès 1992, sortent néanmoins les premiers modèles sous son nom. En 1993, Raphaël Radicchi entre dans le capital de la société à 50% puis finit par racheter l’ensemble des parts en 2008. Il lance aussitôt son grand projet de verticalisation de sa production de mouvements.

La planète horlogère suisse en mouvements – 2ème partie

Une base intelligente
Le BSE1325-A (qui signifie Base Schwarz Etienne 13 ¾’’’ série A) est un calibre très intéressant, très compact, novateur à plusieurs titres. On remarque immédiatement deux de ses principales caractéristiques, un très grand barillet couplé avec un très petit rotor. Ce micro rotor, taillé dans du carbure de tungstène (très dur, ce matériau résiste particulièrement bien à l’usure) est désaxé et est monté sur roulements à billes. Couplé au grand barillet, il offre au mouvement une grande réserve de marche de 80 heures.
Conçu d’emblée avec l’ambition de pouvoir devenir par la suite un mouvement chronographe, il dispose d’ores et déjà des percements qui pourront permettre cette future intégration. Les fraisages de la platine ont ainsi été conçus pour permettre au calibre de recevoir diverses “options” possibles au gré des choix du client. Il offre ainsi notamment la possibilité de passer très facilement d’un remontage manuel à un remontage automatique ou d’adapter à convenance la forme des ponts. Autre particularité, tout le rouage est placé en fond de platine, dégageant ainsi beaucoup d’espace à l’intérieur du mouvement et réduisant notablement son épaisseur: 5,05mm pour le modèle de base, 6,25mm pour la future version chronographe. Battant à 21’600 alternances/heure (3Hz), il est dépourvu de raquette d’ajustage et dispose d’un balancier à réglage par quatre vis. Il est par ailleurs doté d’un spiral Straumann (Precision Engineering) terminé par une courbe Breguet et d’une ancre latérale en acier avec système de contrebattue.
Enfin, comme tous les mouvements équipant les montres Schwarz Etienne, celui-ci est également soumis au COSC.

La planète horlogère suisse en mouvements – 2ème partie BSE-GMT LONDON / ROMA par Schwarz Etienne

Deux modules viennent compléter ce mouvement de base à trois aiguilles, petite seconde à 6h et petite date à 3h. Le premier, le module BSE-GMT procure un deuxième fuseau horaire sur 24h indiqué par aiguille centrale et dont le réglage se fait pas la couronne à deux crans. Le second module, le BSE-GD remplace la petite date par une grande date située à 12h.
A noter que, par ailleurs, Schwarz Etienne propose deux modules conçus pour compléter le mouvement de base ETA 7750, soit avec un deuxième fuseau horaire par aiguille centrale (VSE-GMT), soit par un quantième rétrograde indiqué par une aiguille centrale qui va et vient entre 7h et 1h et une seconde rétrograde sur 30 secondes par aiguille à 9h (VSE-REQS). Ces deux modules sont d’un montage très aisé et ne nécessitent aucune intervention mécanique sur le mouvement de base car ils sont fournis avec un pont destiné à remplacer simplement le pont supérieur traditionnel du 7750.
Affaire à suivre, donc, avec les premiers mouvements maison qui viennent équiper de nouvelles collections Schwarz Etienne: le BSE-GMT vient ainsi animer la très classique London, une montre tonneau sobre et très lisible. Le BSE-GD vient quant à lui équiper un nouveau modèle rond Roma, tout aussi classique dans ses finitions, très équilibré avec sa grande date à 12h qui fait écho à la petite seconde à 6h. Une belle aventure commence.

LE B01 DE BREITLING

Breitling, dont toute l’histoire repose essentiellement sur la montre de précision et sur le chronographe (pour petit rappel et à titre d’exemple, c’est Breitling qui a inventé les deux poussoirs indépendants qui sont devenus la norme des chronographes modernes, celui du déclenchement en 1923 et le poussoir de remise à zéro en 1934) a très tôt pris les devants en anticipant la fermeture du “robinet” ETA et plus particulièrement du Valjoux 7750. Sans doute faut-il remonter à 1997 pour voir les prémices de cette décision stratégique essentielle – disposer de son propre mouvement chronographe - , avec la reprise par Breitling de Kelek, grand spécialiste des mécanismes chronographiques modulaires et fournisseur principal de la marque dans ce segment. Devenue “Chronométrie Breitling”, cette entité, pleinement intégrée, a fourni les outils conceptuels qui ont permis de développer le B01.
D’emblée, ce mouvement a été conçu pour être produit industriellement, à grande échelle. La conception a donc intégré non seulement l’architecture interne, la construction du mouvement, mais également ses modalités de production en dizaines de milliers d’exemplaires. On estime ainsi que l’appareil de production installé à La Chaux-de-Fonds a une capacité de production d’environ 50’000 mouvements B01 par an (à titre informatif, Breitling, qui fait passer le COSC à l’intégralité de sa production, a certifié en 2009 - année il est vrai en recul global en nombre de pièces certifiées COSC de -27% par rapport à 2008 - 68’687 montres mécaniques et 39’533 montres à quartz, ce qui place la marque en troisième position derrière Rolex, avec 607’512 montres et Omega, avec 187’558 montres certifiées).

La planète horlogère suisse en mouvements – 2ème partie

Simplifier la production, alléger la SAV
Ces exigences industrielles ont donc dicté la construction et certaines particularités du calibre chronographe automatique B01 afin, au-delà de ses performances intrinsèques et de sa fiabilité, d’en faciliter la fabrication et d’en alléger la maintenance, donc le SAV.
Ainsi, un nouveau dispositif breveté d’autocentrage des marteaux de remise à zéro dispense les horlogers de devoir intervenir manuellement sur chaque mouvement pour ajuster cette fonction avec précision. Un développement apparemment modeste mais qui, avec bien d’autres, permet d’optimiser graduellement la production. De même, pour le porteur, un certain nombre d’aménagements ont été instaurés, tel un système de raquetterie particulier, et exclusif, qui permet de régler la montre en fonction de son porteur (car on sait que la montre d’un porteur très actif ne réagira pas de la même manière que celle d’un porteur essentiellement sédentaire). Dans la même optique de l’aisance fonctionnelle, le calendrier à saut instantané du calibre B01 peut être corrigé à tout instant, sans courir le risque d’endommager le mouvement.
La chaîne de production (actuellement installée sur une surface de 6’000m2), s’inspirant d’autres secteurs industriels, est intégralement pilotée par un logiciel qui, au cours de son montage, dirige automatiquement le mouvement, placé dans une navette, vers le poste suivant, qu’il y subisse une opération automatisée ou une intervention manuelle.
Cinq ans de développement (et des millions de francs d’investissement) ont permis à Breitling, non pas de réinventer la roue – le B01, certes, de très belle facture, est un chronographe automatique intégré traditionnel à roue à colonnes et embrayage vertical, battant à 28’800 alternances/heure et disposant d’une excellente réserve de marche de 72 heures – mais d’atteindre à une autonomie certaine, garantissant son indépendance pour les années tumultueuses qui s’annoncent, tout spécialement dans le domaine des mouvements.

Exception française: le formidable Calibre Royal de Pequignet
Le Calibre Royal, courageusement initié par Didier Leibundgut, propriétaire de Pequignet, est un mouvement automatique à 21’600 oscillations / heure (3Hz) composé de 298 pièces, entièrement conçu, dessiné, prototypé, testé et assemblé dans les ateliers de Pequignet, à Morteau (France). Ses principales caractéristiques en font un mouvement automatique d’exception, totalement intégré et conçu pour recevoir sans plaques additionnelles l’intégration de nouvelles complications: remontage automatique dans les deux sens, diffusion de la force initiale par un axe central au grand barillet, grand balancier à vis compensatoires, grande date et grand jour sans perte d’amplitude au déclenchement, réserve de marche calculée de 100 heures, indication sur le cadran de 88 heures de réserve dont 72 heures garanties en isochronisme (amplitude de 220° en position verticale après 72 heures de marche), petite seconde à 4h symétrique à l’indication de réserve de marche.
L’appareil de production et de montage est en cours d’installation et les premières montres équipées de ce calibre qui devrait faire beaucoup parler de lui sortiront en novembre, décembre de cette année. Dès 2010, Pequignet prévoit une montée en puissance avec la réalisation de 300 à 400 mouvements par mois.

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Offensive: Citizen lance le premier rejeton de sa nouvelle famille automatique 9000
La récente offensive de Citizen dans le domaine du mouvement mécanique est sans doute d’abord motivée par des nécessités stratégiques purement nippones – monter au créneau contre Seiko, son principal compétiteur, qui a pris une longueur d’avance avec le Spring Drive et les lignes mécaniques Grand Seiko – mais elle marque aussi probablement le début d’un redéploiement qui vise aussi à l’international.
C’est à l’occasion de son 80ème anniversaire que Citizen a récemment présenté une nouvelle ligne, baptisée The Citizen, équipée d’un nouveau mouvement mécanique à remontage automatique, le Calibre 9015.
De l’aveu même de Citizen, ce calibre n’est que le premier d’une longue série de développements et de variations de la nouvelle ligne des Calibres Citizen 9000 qui sont d’ores et déjà dans le pipe-line. Ainsi, le Calibre 9100, un 13 1/2"’ de 5.52mm de hauteur, doté d’un indicateur de réserve de marche à 12h, d’une indication du jour à 9h, du mois à 3h, de la date à 4h30 et d’un compteur 24h positionné à 6h, est-il déjà programmé pour être mis sur le marché d’ici la fin de l’année 2010.
Mais revenons un instant au premier calibre de la série, le 9015. Evolution de l’économique Calibre 82, c’est un automatique 11 1/2"’ de 26mm de diamètre pour une hauteur très raisonnable de 3.9mm (une minceur obtenue grâce à la reconfiguration du train de rouages de 82) , qui bat à la vitesse de 28’800 alternances/heure, qui comporte 24 rubis et qui affiche heures, minutes et secondes par aiguilles centrales, et indique la date en guichet à 3h. Il est doté d’une réserve de marche de 42 heures et affiche une marche entre -10 + 30 secondes par jour. Il est équipé d’un système de stop seconde et son balancier est monté sur le célèbre système antichoc maison, le Parashock, développé il y a plus de 50 ans déjà.
D’une architecture tout ce qu’il y a de plus sobre et classique, il est conçu comme une alternative directe au 2892 d’ETA. Les responsables de Citizen que nous avons interrogés ne le nient pas, en déclarant que “ce nouveau venu sur le marché sera un challenge pour les mouvements mécaniques suisses dans le futur et que son impact sur le marché sera important.”
Dans cette perspective, Citizen, fort de son expérience dans le domaine des mouvements, quartz et mécaniques, commercialisés sous le nom de Miyota, met en avant ses capacités de production de masse, grâce à son expertise dans les systèmes d’assemblage en ligne, et ses strictes procédures de contrôle de qualité. Autre atout, toujours selon les responsables de la marque, l’intégration verticale extrêmement poussée de la marque. Tous les composants de ce nouveau calibre sont ainsi intégralement produits et assemblés en interne, y compris le spiral, ce qui assure à Citizen une maîtrise complète de son approvisionnement et donc une continuité de production, ainsi qu’une maîtrise des coûts. L’avenir dira si cette nouvelle série, pour l’instant réservée à la ligne The Citizen, parviendra à percer et à s’imposer à l’international. Mais, quoi qu’il en soit, il s’agit d’une alternative sobre, robuste et certainement très crédible.

La planète horlogère suisse en mouvements – 2ème partie

A SUIVRE:

L’offre en mouvements étant en pleine période de développement, il est presque impossible d’être exhaustif (à moins d’y consacrer l’intégralité de notre magazine). Nous reviendrons donc sur ce sujet dans notre prochain numéro, Europa Star 6/10, et conclurons notre vaste enquête avec un troisième volet sur les offres en Haute Horlogerie et en spécialités. Nous traiterons ainsi notamment d’Aghenor (Atelier Genevois d’Horlogerie), auteur de nombreuses complications, et notamment spécialisé dans les affichages rétrogrades, de Christophe Claret, la référence dans la haute complication, de Concepto Watch Factory, des Artisans Horlogers (Laurent Besse) qui ont notamment participé à la mise au point de la Mémoire 1 de Maurice Lacroix.

Source: Europa Star Première Vol.12, No 5